LE PATOIS DANS LE CANTON DE SAINT-PIERRE DE CHIGNAC

pour Charles Mespoulède et Henri Lamy

d’après une étude publiée en 1927
par Gaston Guillaumie
agrégé de Grammaire et natif d’Atur

 

1. Avant-propos

2. Introduction
    Les limites du dialecte
    Les zones phonétiques
    Le canton de St Pierre
    de Chignac

3. Prononciation

  4. Glossaire :
I. La nature
II. La terre et ses aspects
III. L'eau
IV. Routes
V. Le règne végétal
VI. Le règne animal
VII. La maison
VIII. L'ordre et le ménage
IX. En dehors
X. Les travaux rustiques
XI. L'activité
XII. La propriété

 

5. Lexique

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PRONONCIATION

 

[…] Voici quelques indications sommaires sur la prononciation du parler de Saint-Pierre de Chignac et la manière d’en représenter les sons.

I. *Vocalisme

  1. Voyelles *antérieures ou *palatales

a

[…]
Dans le canton de Saint-Pierre de Chignac, le son de l’ « a » mi-muet est bien distinct du son de « o » faible ; il est émis à lèvres entr’ouvertes, avec relâchement des commissures ; le passage de a à o nécessite, avec une faible contraction des commissures, qui si fixent, un très léger avancement des lèvres qui, en même temps, se rapprochent de un à deux millimètres. Par une plus grande ouverture de la bouche, on passe, sans mouvement propre des lèvres, du son a mi-muet au son des a accentués ;  de même par une contraction et une saillie plus accusées des lèvres, on arrive de l’o faible aux o accentués. Il est très facile de sentir la différence des deux sons a et o en faisant prononcer […] ma mo (ma main) ou sa (un sac) et so (le soc) ou encore bra (le bras) et bro (un broc), etc.
[…]

[…] Certaines altérations de l’A primitif se produisent, dans le territoire de Saint-Pierre de Chignac, notamment dans la partie nord-ouest avoisinant Périgueux. Par exemple l’A précédant la *tonique, bref, évolue vers un O qui n’est pas très assuré […]. L’A *nasal ou suivi de deux consonnes, passe aussi quelquefois à O. On dit orgen (argent), plontado (plantée), efon (enfant). Mais cette prononciation ne se faisant sentir que dans la zone proche de Périgueux […], nous écrirons A, sans tenir compte de ce phénomène très localisé. Dans le canton de Saint-Pierre de Chignac , il n’y a pas de différence entre l’A final de l’infinitif et celui du participe passé, ou, s’il y a une nuance, elle est tout à fait imperceptible. Il est à peu près impossible de distinguer une différence entre les deux sons A de troubâ (trouver) et l’ay troubã (je l’ai trouvé) entre barã (fermer) et ey barã (il est fermé) (nous écrirons, pour les distinguer, ã dans les infinitifs et a dans les participes passés).

[…] L’A initial est supprimé dans un très grand nombre de mots, presque tous ceux qui commencent par un a atone et bref, ou devenu tel : acucla > agulha > gulho (aiguille) ; avena > veno (avoine). Nous marquerons l’a de ces mots dans une parenthèse (a)gulho ; (a)belho, etc., etc.

 

e

L’E n’est jamais muet dans le patois de Saint-Pierre de Chignac. Au point de vue de la prononciation, on le rencontre avec trois sons différents :

  1. e bref, avec le son de é fermé français, fe (foin), pe (pied), vale (valet), perou (poire). Nous le marquerons e, sans accent ;
  2. edemi-long, avec le son de è ouvert français, par exemple, dans la *pénultième des mots à finale faible : vèni (je viens), prononcé comme le français veine ; tèro (la terre), bèlo (belle). Nous le marquerons è avec un accent grave ;
  3. Un è ouvert, plus long que le précédent, avec le son de ai français dans paix. Ex. : lou pè (les pieds) […]. On prononce, à Saint-Pierre diè (dix), tu me sè (tu me suis).

[…]

En ne se prononce jamais avec le son an, mais comme én dans le mot français énergie ; uno dén (une dent).

 

i

L’i patois se prononce toujours i et ne prend jamais dans la *nasale le son de en français. Par exemple vin (20). Au point de vue de l’intensité, on rencontre :

  1. i comme dans moun fi (mon fils) ;
  2. L’i demi-long, dans la *pénultième des mots à finale faible p. ex. : dire, dans le patois, est plus long que dans le mot équivalent dire français. Dans le mot patois vime (osier) i est plus long que dans vigne ;
  3. i long final, p. ex. : veni (venir), et initial dans des mots comme pissorato (chauve-souris).

 

 

  1. Voyelles *postérieures ou *labiales (sourdes)

O

Le son o se présente sous plusieurs variétés :

  1. o faible, comme dans mo (main), po (pain), avec un son très voisin du o dans le mot français moment ;
  2. ó fermé, comme dans l’expression bèure un có (boire un coup).

Nous écrirons ces deux variétés de o avec un simple o sans accent ;

  1. oouvert, mi-long, présentant à peu près la même intensité que ô ou au français, mais avec un timbre un peu différent : dans le patois, la langue est un peu moins en avant, les commissures des lèvres un peu moins resserrées, la bouche plus ouverte, le son résonnant davantage dans l’arrière-bouche, ôre (laid), drôle (petit garçon), acô (ceci) ;
  2. õun peu plus long que le ô ou au français, d’un ton plus grave et faisant vibrer moins vite le voile, mais sans présenter aucun son *guttural, lous õ(s)(les os).

 

OU

Dans la prononciation, il faut distinguer :

  1. oubref, comme dans bou (bon), boutou (bouton) ;
  2. oudemi-long, dans les *penultièmes suivies de syllabe faible : coure (courir) ;
  3. ouplus long que ou long français, dans les pluriels : la (s), pou (s) (bouillie de maïs).

 

U

Le patois garde toujours le son propre de l’u, même dans la *nasale un. Pour la prononciation, tantôt il est bref, comme dans « degu » (ce qui est dû) ; tantôt long comme dans bure (le beurre).

 

*Diphtongues

Ai

Dans les mots comme pai, mai (père, mère), où l’i représente un *yod, nous représenterons la *semi-voyelle par un i simple, sans tréma.

Au point de vue de la prononciation, nous remarquerons que cette *diphtongue ai évolue vers ei, dans le corps de la phrase ou du mot, quand elle ne porte pas l’accent tonique, par exemple dans les temps composés des verbes et les formes composées des adverbes p. ex., à Saint-Pierre de Chignac, l’on dit z’ai (j’ai) et z’ei agu (je l’ai eu), vai(il va), vei veni (il va venir) ; alai (là-bas), alei loun (là-bas, au loin), mai (plus), mei que mai (surtout).

 

Au

Se prononce âou ex. cacau (noix), se prononce cacâou. Au point de vue de la prononciation, au, avec â se rencontre surtout dans le corps ou au commencement des mots aubre (arbre), auvi (entendre), ausù (oiseau), paubre (pauvre), taulo (table). Aou, avec a demi-long, se prononce à peu près comme la *diphtongue allemande au : il ne se rencontre qu’à la fin des mots : chau (chou), fau (je fais), lou(s) trabau (les travaux). Dans le canton de Saint-Pierre, en composition ou dans le corps de la phrase aou (avec a demi-long) évolue vers aou avec un â : zou fàou (il le faut) ; zou fâou pas ; li vàou (j’y vais) ; li vâou pa (je n’y vais pas) ; nàou (haut), nâoutour (hauteur).

 

EI

ei très fréquent, se prononce comme sei dans le mot français seyant. Ex. : ei (il est) ; mei (mois) ; lou(s) fei (les foins) ; farei (vous ferez). On constate, pour cette *diptongue, une évolution analogue à celle de la *diphtongue Ai ; on passe de èi à éi : par exemple : infinitif béissã (baisser), participe passé bèissa ; éimã (aimer) ; èima (aimé).

 

OU, EU

Nous marquerons d’un accent aigu ou grave l’élément accentué de la *diphtongue descendante, suivant qu’il est aigu ou grave, fóu(i) (il faut), foù (fou) ; béure (boire), ceù (ciel), leù (tôt). Dans la majeure partie du Périgord, la *diphtongue EU se prononce éou […].

Pour les mots suivants, le parler de Saint-Pierre de Chignac contracte en une *diphtongue ou *triphtongue, toutes les voyelles consécutives qui sont prononcées d’une seule émission de voix : boûo (la braise), coûo (la queue), groûado (couvée de poulets).

 

*Consonantisme

G, *linguo-palatale, aura toujours le son dur gh comme en français dans les mots gare, aigu. Pour lui maintenir le son dur devant e et i, nous emploierons gu, comme en français guerre, p. ex. gueire (peu). (G devant e, i aura le son du J).

D *linguo-dentale, se prononcera toujours comme en français dans doute.

B (*labio-labiale) et V (*labio-dentale) se prononcent également comme en français dans bâton, vallon. […]

J (*chuintante) présente à peu près le son du j français sans la moindre ébauche d’articulation de d, sauf dans la partie du canton où l’on dit un dzau (un coq). (Dans le j français la pointe de la langue est haute, vers la gencive supérieure, mais sans la toucher ; dans le j patois, la pointe de la langue se recourbe en bas et touche les dents inférieures ; en outre, les commissures sont moins rapprochées et font moins saillie que dans le j français.)

Z. N’est guère employée en initiale, dans le parler de Saint-Pierre que dans quelques mots empruntés au français comme zéro. […] zou fóu (il le faut) ; zou vèze (je le vois) […], zióu (œuf) […]. Z final a persisté, mais seulement quand une voyelle suit, dans le nombre diez (prononcé « detz ») (dix). Il se lie alors à la voyelle suivante, p. ex. dans dié-zue (dix-huit).

R se prononce comme le r français, ni prolongé, ni roulé, sauf sur la frontière de l’arrondissement de Sarlat.
R final est complètement oblitéré, dans les *substantifs et adjectifs en ier (nous écrirons bergié : berger ; sancié : sincère) et aussi dans les infinitifs en ar (chantã : chanter ; minjã : manger) […].

L se prononce comme en français. Dans presque toute l’étendue du canton, la *vocalisation de L intérieur ou final s’est produite après les voyelles graves a, e, o et L est tombé après les voyelles grêles i, u, ou. Cette *vocalisation n’a pas lieu sur le pourtour méridional du canton […].

Lh représentera ll […] françaises, quelle qu’en soit l’origine : de li comme dans filho (fille), palho (paille) ; de il ou jl suivi d’une voyelle […] ; de cl, gl, tl, pl : gulho (aiguille), calhâ (cailler), citoulho (paille du blé), selho (le seau).

M se prononce comme en français : il n’aura jamais la valeur de n comme dans le français lampe.

N se prononce comme en français ; nn redoublé doit se faire légèrement sentir, le premier n allongeant la syllabe précédente et suspendant un peu la voix, qui appuie davantage sur le second n : fénno (femme).

Gn représentera n […] (ñ espagnol) quelle qu’en soit l’origine :

  1. de ni ou de ne (préalablement changé en ni) précédant une voyelle : ingeniosus > enginhous > gignous (ingénieux) ;
  2. de gn : regnare > regnâ ;
  3. de ng : plangere > pagnei (plaindre).

C représente le son dur du K français devant a et o : cacau (prononcer kakaou) : noix, coure(kourè) : courir. Quand l’étymologie l’exige, nous représentons le c dur par qu : queri (Kéri) : chercher. […]

T se prononce comme en français dans tempête. Il ne prendra jamais la valeur de s comme il le fait en français dans nation, patient. Le son s *sourde, rendu en français par ti, sera représenté par c : naciù (nation). T final tombe toujours ; nous ne l’écrirons pas à la fin des mots.

F, P se prononcent comme en français.

S et SS
S représentera toujours le son sifflant. Le son z qu’il prend en français entre deux voyelles dans le même mot et à la fin du mot en liaison avec la voyelle commençant le mot suivant sera toujours représenté par z.
S patois est moins sifflant qu’en français : […] il est un peu *chuinté. […]
SS vaudra toujours S. Nous l’emploierons entre deux voyelles, pour empêcher qu’on n’attribue à s le son z : fissou (aiguillon).
[…] Quand l’s final suit immédiatement la voyelle, celle-ci devient longue, et si c’est un e, se *diphtongue en ei. Homines > homes > omei ; nous écrirons : lous omei (les hommes). […]
[…]