LE PATOIS DANS LE CANTON DE SAINT-PIERRE DE CHIGNAC

pour Charles Mespoulède et Henri Lamy

d’après une étude publiée en 1927
par Gaston Guillaumie
agrégé de Grammaire et natif d’Atur

 

1. Avant-propos

2. Introduction
    Les limites du dialecte
    Les zones phonétiques
    Le canton de St Pierre
    de Chignac

3. Prononciation

  4. Glossaire :
I. La nature
II. La terre et ses aspects
III. L'eau
IV. Routes
V. Le règne végétal
VI. Le règne animal
VII. La maison
VIII. L'ordre et le ménage
IX. En dehors
X. Les travaux rustiques
XI. L'activité
XII. La propriété

 

5. Lexique

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INTRODUCTION

Un devoir s’impose à ceux qui sont nés sur cette terre périgourdine, classique des troubadours, héritiers de leur langue, la parlant encore, sinon avec son ancienne pureté, son ancienne richesse, du moins avec toute son énergie et encore avec quelques-unes de ses grâces, le devoir de ne pas la laisser mourir entièrement et d’en sauvegarder pieusement les débris. « L’âme des ancêtres vit dans leur langage, et le culte le plus pur à leur rendre, c’est de prononcer après eux les mots qu’ils ont prononcés, de chanter les chansons qu’ils ont chantées, de perpétuer en un mot la vie de cette langue qui fut la leur et que leur souffle anime encore, phonographe vivant qui redit avec leur accent même les syllabes sacrées que, de siècle en siècle, dans les joies ou dans les douleurs de la famille, a répétées l’écho du foyer » (discours de C. Chabaneau, à la félibrée de Mareuil en 1903 ; cf. n°8 du Bournat du Périgord). […]

« Les patois ne peuvent plus attendre ; chaque jour, irrémédiablement emporte un peu de leurs richesses. Parce que certains d’entre eux ont assez bien résisté au chemin de fer, au journal quotidien, à l’école ou à la caserne, il ne faut pas en conclure qu’ils possèdent une vitalité indéfinie » (A. Dauzat, Essai de méthodologie linguistique dans le domaine des langues et des patois romans ; Champion 1906). Le linguiste n’a pas la prétention d’enrayer cette décadence, ni de préserver les patois de la mort ; il veut simplement faire l’inventaire de leurs débris, afin qu’on puisse un jour, comme le souhaitait Gaston Paris (discours prononcé à l’assemblée générale de clôture du Congrès des Sociétés Savantes, le 26 mai 1888), les cataloguer dans un grand herbier national. C’est ainsi que j’ai voulu recueillir quelques plantes du terroir natal, avant qu’elles fussent complètement desséchées. […]

 

 

LES LIMITES DU DIALECTE

Avant d’aborder l’étude du glossaire de Saint-Pierre de Chignac, il me paraît utile de replacer le parler de ce canton dans l’ensemble du dialecte périgourdin, de rappeler l’aire de ce dialecte et surtout d’en préciser les caractères linguistiques, par l’examen des grandes zones phonétiques […].

Chabaneau, dans l’avant-propos de sa Grammaire limousine (1876), déclare que, dans le dialecte limousin, il faut distinguer trois sous-espèces, qui correspondent à peu près aux divisions géographiques du domaine de ce dialecte, à savoir : le haut-limousin, le bas-limousin, le périgourdin. Cette dernière variété, une des principales, ajoute-t-il, est, par ses caractères, internédiaire entre les deux autres, et il l’étudie, en particulier dans le parler de Nontron […].

[…] Selon lui (Chabaneau, 1891), le dialecte limousin déborde sensiblement au sud et à l’ouest, en dehors des limites de la Haute-Vienne et de la Corrèze, et plus généralement de celles des anciennes provinces de la Marche et du Limousin. Ainsi, dit-il, il règne non seulement dans les parties des arrondissements de Confolens et de Nontron (qui étaient autrefois compris dans le Limousin), dans les parties des arrondissements de Périgueux, comme Hautefort et Excideuil (qui bien qu’appartenant au Périgord, relevaient de la vicomté de Limoges), mais encore dans toute la région orientale de l’Angoumois […] et dans tout le département de la Dordogne, de l’est à l’ouest, jusqu’à la latitude de 45° environ. On pourrait, ajoute-t-il, donner comme limites du dialecte, au nord et au sud-est du département de la Dordogne, les limites mêmes du diocèse de Périgueux, avant la Révolution […]. Si l’on voulait étudier l’aire du parler périgourdin par rapport à ses limites historiques et administratives, on aboutirait à cette conclusion que le dialecte périgourdin correspond dans son étendue à ce qu’on est convenu d’appeler le Périgord blanc. […]

Retenons d’abord ces déclarations très affirmatives de Chabaneau, en ce qui concerne le dialecte périgourdin : au nord de la province du Périgord, Nontron, Excideuil, Hautefort appartiendraient nettement au Limousin, pour des raisons historiques. A l’ouest, le dialecte périgourdin déborderait, sur les limites du Périgord, assez loin dans la zone orientale de l’Angoumois ; enfin au sud, la limite du dialecte serait la ligne formée par la Vezère et la Dordogne.

Peut-on apporter quelques précisions aux déclarations de Chabaneau ? En ce qui concerne la partie nord du Périgord, la question ne se discute même pas : les territoires dont il parle sont nettement de caractère limousin. Pour la frontière ouest, notons que, d’après Chabaneau, le dialecte limousin va « se perdre » dans la région orientale de l’Angoumois. […]

Si […] nous pouvons faire coïncider les limites linguistiques de l’ouest du Périgord avec celles de l’ancien évêché, que pouvons-nous affirmer des limites du côté du sud ?

Sans doute, il n’y a rien à retrancher à ce que déclare Chabaneau à propos du caractère que prend le dialecte limousin dans la partie méridionale du Périgord, où il va se confondre, au sud-est, vers le Sarladais, avec le dialecte du Quercy. Il est exact également que, vers le centre et vers l’ouest du Périgord méridional, du côté de l’Agenais et de la Gironde, le dialecte présente des affinités nombreuses avec le Gascon. Mais faut-il prendre comme limite extrême du dialecte périgourdin […] au sud, la ligne naturelle formée par la Dordogne et la Vezère ? Des considérations d’ordre historique sembleraient devoir nous imposer ces limites naturelles, mais l’étude plus approfondie du parler de cette région frontière démontre nettement qu’on se trouve là dans une zone de transition dont il est à peu près impossible de tracer une délimitation mathématique.

Dans toute cette zone, les formes linguistiques varient souvent d’une paroisse à l’autre ou d’une rive à l’autre d’un cours d’eau. A Lalinde, par exemple, on ne parle pas le même, patois sur les deux rives. A Rouffignac […], un versant suit l’*idiome de Périgueux, l’autre celui de Sarlat. Les derniers villages de Cendrieux qui touchent Saint-Alvère se servent du Périgourdin, tandis qu’à Saint-Alvère, on parle franc sarladais (d’un côté on dit loï castagno, de l’autre la chatigna).
[…]

 

 

LES ZONES PHONÉTIQUES

La seule méthode de délimitation susceptible d’aboutir à des résultats vraiment scientifiques devait consister à relever, dans cette région, un ensemble de faits linguistiques déterminés dont dont la présence, dans une même direction et dans une aire homogène, permît de suivre la persistance d’un même phénomène phonétique. […]

Si l’on considère les résultats des enquêtes […], on ne peut s’empêcher de remarquer des coïncidences très intéressantes, dont l’étude détaillée nous entraînerait trop loin […] :

Qu’il s’agisse, en effet, de la limite de la *palatalisation de CA, GA, de la  *vocalisation de L, de l’*amuïssement de S, de la présence du B gascon et même de la limite extrême, vers le sud, de A > O, il est assez curieux de constater que les lignes représentant les limites de chaque enquête, malgré leurs divergences sur certains points de leur parcours, sont toutes orientées, à peu de chose près, dans une même direction S. O.-N. E., et suivent une ligne oblique déterminée, en allant de [l’ouest vers l’est], par la haute vallée de la Lidoire, la vallée de la Crempse, la lisière septentrionale de la forêt de Vergt d’une part, et, d’autre part, celle de la forêt Barade qui lui fait suite, pour aboutir à la haute vallée de la Vezère, à partir de Montignac : une suite de rivières et de lisières de forêts paraît être la limite géographique de ces phénomènes linguistiques.

La constitution de ces aires phonétiques homogènes est-elle due au hazard ? […]

 [Je laisse de côté ici les considérations obsolètes de « races » et de ses influences sur la langue]

Faut-il admettre […], avec M. Bourciez (1888), que l’explication d’un pareil problème est moins une question de [« ]race[»] que d’influences historiques, qu’à toutes les époques il y a eu, dans toutes les régions, des centres d’influence prépondérants [drainés par les marchants ambulants sur les marchés] ; que de ces points ont rayonné, en sens divers, les faits linguistiques jusqu’à ce que leur action fût annihilée ou contrebalancée par des réactions venues d’un autre côté ?
[…]

 

 

LE CANTON DE SAINT-PIERRE DE CHIGNAC

[…] Périgueux constitue, pour la population du canton, le centre des affaires et du commerce. Cette attraction n’est pas sans influence sur le parler du canton dans lequel on retrouve certaines des particularités du patois des environs de Périgueux. D’autre part, sa position frontière, sur la partie nord de l’arrondissement de Sarlat explique la présence, dans les communes méridionales du canton de Saint-Pierre, de phénomènes linguistiques [phonétiques] qui ont été signalés dans le chapitre précédent […].

Le mot Chignac, dans le patois de tout le canton, se prononce nettement sinia. On dit : vau a sen Pey de Sinia. Même observation pour la commune limitrophe de Ste-Marie de Chignac. Pour cette dernière, on dit même Sinia tout court. D’après l’Atlas linguistique de la France, les habitants s’appelleraient : sen peiraquois : nous n’avons jamais entendu cette appelation, pas plus que celle dont se sert Jules Clédat (Poésies, 1913 : La voto de Sen Pey) : lous chignagueis. On dit toujours lou sèn Pey ou la gen de Sinia.
[…]

Dans la commune de Blis-et-Born, il y a le village de Chignaguet [Petit Chignac : Blis-et-Born relevait en grande partie de la seigneurie des Foucault de Lardimalie « du Grand Chignac », et les seigneurs de Blis étaient les Foucault de la branche de Soulignac dont la maison noble était au lieu dit aujourd’hui appelé « Lastour » et dépendant de Chignaguet ou « Petit Chignac »].

[…]