BLIS ET BORN

CRIMES ET CHATIMENTS

ET AUTRES PROCES

AUX XVIIe ET XVIIIe SIECLES

 

La Saga des Bonnet de Chignaguet

Le crime du Seigneur de Blis

Prouillac et sa bande

 

Les histoires que je veux vous conter remontent à un temps lointain, elles sont déjà recouvertes d'une précieuse rouille historique, et il faut absolument les raconter sous la forme du passé, leurs passés. J'ai voulu user du prétérit pour bien montrer leur antiquité, du moins leur antériorité aux 150 ans exigés par la loi concernant les procès. Par mesure de précaution, et pour ne pas réanimer quelques mauvais souvenirs chez certains de mes amis, j'ai volontairement recherché dans des temps antérieurs à 200 ans. Ainsi, ces histoires vraies se déroulèrent avant et au moment d'un grand tournant qui marque la limite de l'histoire moderne, limite qui a profondément bouleversé les vies et les consciences dans les campagnes comme dans les citées, je veux parler de la Révolution. Elles se sont déroulées jadis, en ces temps révolus du Périgord nouvellement devenu Dordogne, au pays de Blys d'Auberoche depuis pas très longtemps devenu Blis-et-Born. Il y a maintenant largement amnistie et je les raconterai en détail et minutieusement, aussi exactement qu'elles m'ont été rapportées par les archives, ces miroirs dans lesquels j'ai rencontré les acteurs de ces récits. Sans craindre de m'exposer aux reproches, l'oubli complet m'incline au contraire à penser que les conter méticuleusement sans changer les noms des acteurs les rendront plutôt divertissantes...

J'aurais pu commencer mes récits par le différent qui opposa entre 1680 et 1687 le père chanceladais Pierre Gisbert et le père Jacques de la Salle, prieur de Born et curé de Blis au sujet précisément de ce titre qui n'aurait pas dû échapper à l'abbaye de Chancelade. Si je fais l'impasse sur cette histoire, c'est pour la simple raison que Louis Grillon vous l'a déjà contée dans le fascicule que nous avons rédigé ensemble sur l'histoire du prieuré Sainte Catherine de Born (2e fascicule des Etudes Historiques sur Blis-et-Born, 1997 : p. 8-9). On sait que le verdict du juge-mage fut en faveur du chanceladais (Archives du Périgord, cote B196). D'autres curés de Blis-et-Born eurent maille à partir avec la justice : ainsi, en 1773, le père Pierre Pastoureau n'ayant pas remis au greffe du sénéchal du Périgord, à date convenue, les registres des baptêmes, mariages et sépultures de l'année 1772, fut contraint à une amende de 10 livres* en faveur de l'hôpital Sainte Marthe, Hôtel-Dieu de Périgueux (Archives du Périgord, cote B641).

Les procès rapportés dans ce fascicule sont ceux dont on a le plus parlé en leur temps, et, surtout, dont on a encore des informations précises aux Archives de la Dordogne et de la Gironde. Il va de soit que de nombreux autres différents, crimes et procès ont eu lieu, soit dans l'espace de notre commune, soit dans les environs proches : on peut citer, entre autres, l'assassinat au Change, en avril 1655, des Blis-et-Bornais Poncet Ribette (père) et Antoine Ribette (fils), assassinat sur lequel je n'ai trouvé aucun document en dehors de la mention dans les actes d'Etat-Civil de Blis-et-Born ; un différent en 1754 entre le seigneur de Lardimalie (le marquis Arnaud Foucauld) et le seigneur de La Mounerie (Jean de Chassarel) au sujet d’une limite de terrain et la construction de la grange de Blis (grange actuelle de monsieur Duvaleix) ; un autre entre le seigneur du Breuil de la Salle (de Blis-et-Born) avec Geoffroy Lanssinote (de Cubjac) en mars 1765 (Archives du Périgord, cote B1135) ; un autre entre Messire Jean de Chassarel (seigneur de la Mounerie à Born) avec Antoine Gautier du Defeix, en mai-juin 1765 (Archives du Périgord, cote B1135). Le 24 avril 1770, Antoine Gautier du Defeix réclame devant justice, à François de la Salle de la Faurie, la somme de 37 livres*, 9 sols et 3 deniers de rentes qu'il lui doit pour les années 1766 à 1769 (Archives du Périgord, cote B985). Plus anciennement, en 1675, la paroisse de Blis était condamnée par la court du Présidial de Périgueux à transporter trois charges de " bled " (blé) dans cette ville (Archives du Périgord, cote B97), ne m'en demandez pas la raison car je ne le sais pas, je n'en ai pas trouvé d'autres traces, du moins pour l'instant, cependant je ne désespère pas de les dénicher.

Un article de Nicolas Andrieux, intitulé " les Périgourdins au bois au XVIIIe siècle " (Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord, t.CXXVII, 2000) mentionne (p.602) un délit de pacage qui se déroula en 1754 dans les bois de Saverdène. Les documents originaux du procès se trouvent aux Archives de la Gironde à Bordeaux ; j’en ai demandé une copie afin d’en connaître plus précisément les faits. Il s’agit d’une divagation de troupeaux dans les taillis de Jean de Chancel, seigneur de La Brousse et de Boulazac. Le délit ayant été constaté par le métayer de ce seigneur, celui-ci regroupa le bétail incriminé afin de le séquestrer, ce qui amena un attroupement de villageois des Golferies (village de Bernard Sudrie, propriétaire du bétail concerné) sur le chemin qui va de Saverdène à Born, pour empêcher la confiscation des bêtes. Les villageois s’étaient armés de bâtons pour se rendre suffisamment dissuasifs. Selon Bernard Sudrie, ses bestiaux n’auraient commis aucun dégât puisque " la dite pièce n’est point en bois taillis mais en friche et parfaitement abandonnée " (Andrieux, p.602 et Archives de la Gironde, cote 8 B 234-1781). La divagation fréquente des troupeaux avaient conduit les propriétaires à se doter de " gardes chasse, bois, eaux et forêts " qui se heurtèrent souvent violemment aux ruraux qui ne pouvaient plus jouir de la forêt au gré de leurs besoins pour le pacage des animaux comme nous venons de le voir.

Les procès pour braconnages étaient particulièrement abondants ; Nicolas Andrieux rapporte, dans son article mentionné ci-dessus, que les braconniers, cachés dans des huttes en branches de châtaigniers, utilisaient des filets et des appeaux pour attirer les mâles de perdrix (Andrieux, p.596-597). Au cours d’un procès, un bourgeois de Périgueux, habitant également Blis-et-Born, rapporta en 1758 que " dans la saison de la couvée des perdrix /…/ Lamoutas /…/ vint lui demander de l’accompagner à l’appel des mâles de perdrix rouges " (Archives de la Gironde, cote 8 B 145-1758).

A cette époque de l'Ancien Régime* et de la Révolution, notre commune était peuplée de famille très liés à leur terroir, se mariant dans la paroisse ou dans celles des environs immédiats et il était très rare que leurs membres sortissent du canton de Saint-Pierre-de-Chignac ou de celui de Savignac les Eglises pour aller chercher leurs conjoints. Ceci explique que l'on retrouve parfois les mêmes personnes dans plusieurs procès, soit comme coupables, soit comme victimes, soit comme témoins. Lorsqu'ils quittaient le terroir, nous allons le voir, c'est qu'ils avaient quelque chose de sérieux à se reprocher...

Il y a maintenant un an que vous auriez dû recevoir ce quatrième fascicule des Etudes Historiques sur Blis-et-Born, puisque je vous en avais promis un tous les deux ans et qu'il y a maintenant trois ans que vous avez reçu le troisième. Je souhaite qu'il suscite le même intérêt que le précédent sur l'enseignement et l'école et qu'il vous divertisse tout en vous informant sur l'histoire de notre belle commune. D'autres viendront par la suite et croyez que les idées ne me manquent pas mais je ne dévoilerai pas le sujet du cinquième. Ceux d'entre-vous qui ont la possibilité de consulter l'internet, pourront bientôt se brancher sur le site " Bienvenue à Blis-et-Born " que votre association, l'APN2B, a installé. Grâce à cette nouvelle technologie ; notre terroir, notre histoire, vont pouvoir être connus en dehors de chez nous, en dehors du canton, en dehors du département, en dehors du pays, voire peut-être, qui sait, dans d'autres galaxies...
Enfin, avant de prendre contact avec les " petits hommes verts ", ce que nous souhaitons, c'est que les Blis-et-Bornais connaissent ces histoires et se les racontent.
Il me reste maintenant à vous souhaiter bonne lecture, en attendant le cinquième fascicule des " Etudes Historiques sur Blis-et-Born ".

Thierry Tillet
Les Césareaux
(Le Ségelard)
le 15 Mai 2002

P.S. Par moments, la lecture de ce texte peut paraître difficile car de nombreux termes ont disparu de notre langage, c'est pourquoi vous trouverez en fin de fascicule, un lexique donnant la définition de ces termes marqués par un * dans le texte.

 

 

LA SAGA DES BONNET DE CHIGNAGUET

 Les Bonnet de Chignaguet constituaient l'une de ces nombreuses familles qui se sont entredéchirées pour des raisons le plus souvent liées à des problèmes d'héritage et de jalousies entre frères ou beaux-frères. On trouve dans les actes d'Etat-Civil de Blis-et-Born de nombreux Bonnet au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Tous ne sont pas de Chignaguet mais c'est cependant dans ce village qu'ils semblent être les plus nombreux et pendant la durée la plus longue. Il m'est difficile de préciser, dans l'état actuel de mes recherches, quelle est l'origine de cette famille, le premier Bonnet signalé dans les actes d'Etat-Civil remonte à 1605. En effet, le 17 janvier 1605 naissait à Blis Jehan Bonnet (le père était Girou Bonnet et la mère Meyli Laborde). Le 4 février 1606 naissait un autre Jehan, cette fois à Chignaguet (le père était Tiene Bonnet et la mère Darmoyze Desmesons). Le dernier des Bonnet de Chignaguet semble être Léonard, décédé - à Chignaguet - à l'âge de 70 ans, le 14 juillet 1836. En dehors de Chignaguet, il n'y a plus guère de Bonnet : l'un meurt à Blis en 1838 et une famille se trouve encore aux Defeix en 1850. Après cette date, les actes d'Etat-Civil, jusqu'à la fin du XIXe siècle, ne mentionnent plus de Bonnet sur Blis-et-Born.

Venons-en maintenant à l'objet de ce chapitre sur les crimes et châtiments à Blis-et-Born (les documents de justice qui me permettent d'écrire cette histoire, sont conservés aux Archives du Périgord, cote B 230 et B 381) :

 

Meurtre à Chignaguet

Au cours de la toute dernière année du XVIIe siècle (1699) un meurtre avec préméditation eut lieu avec arme à feu, vers la Saint Jean, entre " l'Avé Maria et le soleil couché ", sur un grand chemin. La victime était un certain Léonard Chignaguet dit " Velloup ". Le malheureux était marié depuis 18 ans (le 10 novembre 1681) avec Anne Bonnet de Chignaguet, avec qui il vivait, précisément au Bas-Chignaguet (dans la maison occupée aujourd'hui par madame Alba Macquart). Les meurtriers ont vite été identifiés, il s'agissait principalement de Pierre Seury (ou Feury) et avec lui, son complice Jean Bonnet dit " Reyni ". Par ailleurs, Elie Bonnet dit " la Rose ", tailleur d'habits à Chignaguet et un certain Feuffiaud (ou Feussiaud), furent également inquiétés.

Je n'ai aucune trace de Pierre Seury, je ne sais donc pas s'il était de Blis-et-Born. Je n'ai pas retrouvé, aux Archives du Périgord, les pièces de son procès et de son exécution en août 1699 et les actes d'Etat-Civil de Blis-et-Born ne mentionnent pas de Pierre Seury. Nous savons donc seulement, en ce qui le concerne, qu'il fut jugé et condamné à mort. Il fut roué vif*, semble-t-il le 8 août 1699 à Périgueux...

Supplice de la roue

Jean Bonnet dit Reyni était en fuite au moment de l'enquête et du procès, ce qui fait qu'il était en état de contumace lorsqu'il fut condamné à être rompu vif, par les exécuteurs de la haute-justice, sur un échafaud dressé en place de La Claûtre à Périgueux. Le corps devait ensuite être exposé sur le grand chemin qui va de Périgueux à Born. Vu la fuite du condamné, seule une affiche fut placée sur un tableau attaché à un poteau planté sur la place de La Claûtre. Par ailleurs, il fut condamné à verser 50 livres* d'amende au roi et 40 livres* pour prier Dieu pour l'âme de la victime, Léonard Chignaguet. On peut supposer que le principal accusé, Pierre Seury, dut verser les mêmes sommes - si ce n'est plus - avant son exécution. Jean Bonnet dit " Reyni " avait 64 ans en 1731 lors d'une seconde condamnation que nous allons examiner plus loin, ce qui fait - si son âge indiqué en 1731 est exact - qu'il était né en 1667 et qu'il avait 32 ans au moment du meurtre. Il épousa Françoise Deplas vers 1690 et ils eurent deux enfants (2 garçons).

Quant au dénommé Feuffiaud ou Feussiaud, à son encontre il fut demandé au procureur du Roi de fulminer une censure d'église contre lui, et quant à Elie Bonnet dit " la Rose ", d'abord emprisonné, il fut mis ensuite hors de cause pour ce crime. Néanmoins, il fut jugé responsable d'un incendie dans le cadre d’une autre histoire de famille, qui avait eu lieu quelques années auparavant.

 


Maison d’Anne Bonnet et de Léonard Chignaguet au Bas-Chignaguet

 

Incendie à La Sommeronie de Saint-Antoine-d'Auberoche


En effet, le 21 août 1686, Girou Bonnet, tailleur d'habits à Chignaguet, étant malade de dysenterie et alité, voyant sa fin arriver, demanda à sa femme (Marguerite Prouillat) de faire aller chercher le père Gisbert, curé de Blis, pour qu'il puisse le confesser de " quelque chose qu'il avait sur le cœur qui l'embarrassait ". Le père Gisbert arrivé, il fit, en pleurant, la confession publique qu'il avait été complice de l'incendie de la grange de Jean Bonnet dit " Bounidou ", à La Sommeronie (Saint-Antoine-d'Auberoche). Il ne donna alors pas le nom du principal incendiaire. Cependant, quelques jours après, Girou Bonnet étant décédé (le 29 août 1686), son testament fut ouvert et celui-ci révéla le nom du criminel et toute l'histoire fut ainsi dévoilée. Voici cette histoire :

Vers 1681, Elie Bonnet dit " La Rose ", ennemi juré de son frère Jean Bonnet dit " Bounidou ", proposa à Girou Bonnet de se rendre avec lui au village de La Sommeronie, ce qu'il accepta. Arrivé sur place de nuit, le dit " la Rose " sortit un sabot de son manteau, sabot qui contenait des braises. Il demanda alors à Girou Bonnet de souffler sur les braises pour faire prendre du chanvre également apporté par " la Rose ". Une fois le chanvre en feu, " la Rose " s'en servit pour mettre le feu à la porte de la grange de son frère, ce qui causa la destruction complète de la dite grange et évidemment tout ce qui était à l'intérieur, mais aussi un clédier* et une partie de la maison d'habitation qui étaient proches. Jean Bonnet dit " Bounidou " avait bien porté plainte devant le juge mais il décéda peu après et sa veuve (Marie Guinot) fut impuissante à faire la lumière sur cette affaire et rechercher les coupables. Il fallut donc attendre les révélations, cinq ans plus tard, de Girou Bonnet près de la mort, pour que cette histoire fût connue et que la veuve de " Bounidou ", remariée avec Marc La Roussie, demandât réparation. Elie Bonnet dit " la Rose " était alors en prison, accusé de participation à l'assassinat de Léonard Chignaguet dont je viens de vous parler ; sa belle-sœur lui demanda alors des dédommagements, et s'il ne pouvait pas répondre à sa demande, ses héritiers devaient le faire. Ceci n'arrangea certainement pas les histoires de famille... " Reyni " : brigandage à Blis-et-Born et sa fuite en Charente Maritime

Voyons maintenant l'histoire - ou plutôt les histoires - de Jean Bonnet dit Reyni :

Ce dernier s’enfuit vers les Charentes, plus exactement du côté de Saint-Jean-d'Angély, ce que la maréchaussée de Périgueux ne sut que bien plus tard. Nous aurions certainement perdu la trace de ce Blis-et-Bornais peu recommandable s'il n'était pas revenu, plusieurs années après, faire quelques mauvais coups dans la paroisse de ses origines et dans les environs. Il n'aurait pas été arrêté, si 30 ans plus tard il n'avait pas eu le culot de revenir à Chignaguet, réclamer son héritage à la fille de Léonard Chignaguet, l'assassiné de 1699. Voyons les faits, ou plutôt les méfaits dont ce personnage et d'autres avec lui se sont rendus coupables :

 

Vol de chevaux aux Chabannes


Le 22 mars 1714, Raymond Lasaigne, marchand demeurant aux Chabannes (aujourd’hui maison d'Eliane et d'Alain Sartre) dans la paroisse de Blis-et-Born, porte plainte devant Antoine Desmaisons, juge de Lardimalie, pour vol de chevaux. Cependant, Lasaigne ne put fournir aucune preuve d'accusation et l'affaire en resta là. Neuf ans plus tard, le 8 juin 1723, toujours à la requête de Raymond Lasaigne, Antoine Desmaisons ordonna la prise de corps des dits Elie Bonnet dit " Bitard " et Jean Bonnet dit " Reyni ". Le juge ordonna qu'on les conduisit au château de Lardimalie et que leurs biens fussent saisis. En effet, entre temps les langues s'étaient déliées et il était dorénavant de notoriété publique que c'était Elie Bonnet dit " Bitard " (fils aîné d'Elie Bonnet dit " la Rose " dont nous avons déjà parlé), habitant de Chignaguet, et Jean Bonnet dit " Reyni " qui avaient volé les chevaux en question, une jument pie et un cheval bai. Cette histoire était assez compliquée et elle parvint au juge de Lardimalie seulement après le décès de Pierre de Banes, seigneur des Fayes (du Change), qui semble-t-il avait été de mèche avec les malfaiteurs. En effet, des témoins (Jean Lausardie, Marguerite Audy et Pierre Bonnet) racontèrent ce qu'ils savaient :

Le 25 juin 1723, Jean Lausardie, cuisinier à la Petite Mission de Périgueux, âgé de 53 ans environ, raconta au juge que le 21 mars 1714, Elie Bonnet dit " Bitard " et une autre personne qu'il ne connaissait pas, étaient venus chez son maître de l'époque, monsieur des Fayes, vers l'Avé Maria du soir. Le dit Elie Bonnet et son compère seraient restés toute la nuit ainsi que le lendemain jusqu'aux environs de minuit. Le seigneur des Fayes aurait alors demandé à son domestique (le témoin déposant) de prendre un fusil et de le confier aux deux étrangers. L'ayant fait, et les ayant rejoint près de la maison de son maître (cette maison bourgeoise des Fayes n'existe plus aujourd'hui), ils seraient allés aux Chabannes et les deux malfaiteurs seraient alors entrés dans la grange de Raymond Lasaigne pour voler les chevaux (on apprendra dans un documents de 1731, par un voisin de Lasaigne nommé Simon de Loubiac, que la porte de la grange était fermée à l'aide d'une barrique, or, le matin après le vol, la barrique avait été rejetée sur un tas de fumier à 5 ou 6 pas de la porte). Jean Lausardie avoua qu'il les avait ensuite accompagnés jusqu'à Blis où il les aurait laissés pour s'en retourner aux Fayes...

La grange de Lasaigne aux Chabannes

Marguerite Audy des Chabannes raconta qu'en 1714, un mercredi soir d'avant les fêtes de Pâques, étant alors servante du feu seigneur des Fayes et étant allé puiser de l'eau dans la fontaine qui était devant la porte des Fayes, les deux compères se présentèrent à elle et lui demandèrent où était le seigneur des Fayes. Les ayant introduits, ils s'entretinrent ensuite avec lui. En revenant dans la maison de son maître, ce dernier lui demanda de coucher les enfants et de porter ensuite une chandelle dans une chambre-haute qu'il lui désigna. La servante mit ensuite une nappe, du pain et du vin sur la table de la salle à manger. Après avoir dîné, les deux compères allèrent se coucher dans la chambre-haute ci-dessus mentionnée. Le lendemain matin, Elie Bonnet s'étant levé tardivement s'en est allé et n'est revenu que le soir en début de nuit. Pendant ce temps, le seigneur des Fayes aurait demandé à sa servante si elle connaissait le dit " Reyni " de Chignaguet, ce à quoi elle répondit l'avoir autrefois connu, mais qu'elle ne le connaissait plus. Son maître lui demanda ensuite si elle savait ce que les dits " Bitard " et " Reyni " venaient faire aux Fayes. Ayant répondu qu'elle ne le savait pas, son maître lui annonça alors qu'ils voulaient voler les chevaux de Raymond Lasaigne. Au retour des deux compères, le seigneur des Fayes demanda à sa servante de lui prêter un écu de 5 livres* qu'il remit au dit " Bitard ". Le lendemain matin elle entendit dire que le vol avait eu lieu, et elle comprit alors pourquoi on lui avait demandé la veille, après le dîner, de se renseigner pour savoir si Lasaigne était de retour ; Simon de Loubiac lui avait alors annoncé que celui-ci n'était alors pas encore de retour chez lui et lui avait précisé qu'il devait revenir de Bergerac le soir même.

Le troisième témoin, Pierre Bonnet, tailleur d'habit à Chignaguet, était parent de Jean Bonnet dit " Reyni " au quatrième degré. Il révéla que le jour du vol, en revenant de son métier chez monsieur de La Versanne (de Chassarel de la Mounerie) à " Bord* ", après le soleil couché, il aperçut Elie Bonnet dit " Bitard " dans le " bois pitaux " appartenant à Monsieur de Glane, qui lui aurait dit qu'il allait aux Chabannes et qu'il ne rentrerait pas coucher chez lui cette nuit à Chignaguet. Par ailleurs, il aurait appris par Bernard Bonnet de Bos Picat que le dit " Bitard " aurait dormi chez lui plus de quatre heures, disant qu'il était las et qu'il revenait du côté de " Salogourde "...

Nous connaissons bien le lieu de Bos Picat au Change, mais le " bois pitaud " ? s'agit-il du " Bois pilot " qui est près de Chignaguet ? Il est bien possible que Pierre Bonnet, soit passé par ce lieu en rentrant chez lui à Chignaguet. Il reste " Salogourde ", il doit s'agir de " Salegourde ", mais lequel ? Est-ce celui de Coulounieix-Chamiers ? Est-ce le moulin de Salegourde sur Marsac ?

On en apprend un peu plus cette histoire, à la suite de la capture d'Elie Bonnet dit " Bitard ". En effet, le 23 septembre 1730 il est arrêté et conduit en prison - au château de Lardimalie - par Jean Faure, sergent de Lardimalie. Interrogé par Antoine Desmaisons, il se décharge sur Jean Bonnet dit " Reyni " et, avec l’aide de son procureur* qui était un certain Guillaume de Loubiac, il tente de faire croire qu'il n'était pas avec Reyni lors du vol et qu'il n'était pas non plus avec ce dernier à Blis et au Bos Picat. Le 26 octobre 1730, lors d'une séance de confrontation avec les témoins, on apprend de Pierre Bonnet que le lendemain du vol, travaillant chez le seigneur de Blis à Chignaguet, Raymond Lasaigne serait venu et aurait demandé au seigneur de Blis de bien vouloir intervenir auprès du seigneur des Fayes pour qu'il puisse récupérer ses chevaux. Le seigneur de Blis serait parti sur le champs, mais serait revenu sans avoir retrouvé les chevaux en question. (Ce témoignage de Pierre Bonnet est fort important car il démontre que le seigneur de Blis était bien chez lui en 1714 et non en prison. Je m'explique - ou plutôt je m'expliquerai dans le chapitre suivant -, le seigneur de Blis était alors Léon Foucauld, assassin lui aussi, et qui aurait dû se trouver en prison en 1714).

Un autre témoin, Jacques Debourdat, affirma, le 24 novembre 1731, que lorsqu'il était valet du seigneur des Fayes, il vit venir " Reyni " et " Bitard " " aux environs du soleil couché " et qu'ils sont restés " jusqu'à environ 2 h de la nuit ". Le témoin étant sorti après avoir entendu aboyer les chiens, le seigneur des Fayes lui aurait alors dit que c'étaient les voisins. Ayant entendu dire le lendemain qu'on avait volé les chevaux de Lasaigne, Debourdat demanda à son maître " qui étaient les hommes qui étaient chez lui le soir " et celui-ci lui répondit " tais-toi, ne parle pas davantage, je te tuerai si tu en parles ". Peu de temps après, le dit " Bitard " lui aurait dit " tu as parlé mais tu t'en repentiras "...

Au sujet du passage des voleurs de chevaux au lieu de Blis, nous avons les témoignages de deux témoins : Jean Séguy, laboureur à Bord*, et Jean de Loubiat, laboureur à " Pareytreyx " (Pareytrets) paroisse de Milhac d'Auberoche. Le 30 septembre 1731, Jean Séguy, âgé d'environ 50 ans, affirma que 8 ans auparavant, en revenant de la forge de la Roquette pour " faire travailler le faure* du dit lieu pour raccomoder ses outils de charrette, et passant dans le cimetière de Blis, étant lors environ heure de minuit ", il vit " Reyni " et le feu " Bitard ", montés chacun sur un cheval, et Lausardie qui les accompagnait jusqu'à Blis. Le lendemain matin il entendit dire que " Reyni " et le feu " Bitard " avaient volé pendant la nuit les chevaux de Lasaigne. Le même jour (30 septembre 1731), Jean de Loubiat, âgé d'environ 60 ans, affirma de son côté qu'en 1723, le jeudi avant la fête des Rameaux, en revenant du moulin de Gouteblave où il était allé faire moudre du " bled ", " en chemin faisant, conduisant sa monture chargée de farine, il fit rencontre au-dessous du bourg de Blis et proche de la maison rouge*, deux hommes montés chacun sur un cheval. /.../. Ayant demandé " qui va là " et étant vers minuit, le dit " Bitard " lui répondit qu'il était " Bitard " fils de " La Rose ", mais il ne reconnut pas la seconde personne dans l'obscurité, ce dernier n'ayant rien dit en dehors de " allons nous en " ". Ce paragraphe comporte deux erreurs de date, probablement dues au greffier qui transcrivait les témoignages. En effet, le premier témoin dit que les faits s'étaient déroulés 8 ans plus tôt, ce qui nous conduit à 1723 ; de même, le second témoin parle aussi de 1723. Or, nous apprenons plus haut que le seigneur de Blis fut sollicité par Lasaigne le lendemain du vol, ce qui - nous le verrons dans le chapitre suivant - était impossible puisque Léon Foucauld, seigneur de Blis et de La Renaudie, avait vendu sa maison et quitté Chignaguet en 1722 pour demeurer dorénavant à Lembras près de Bergerac. Lasaigne n'a donc pas pu rencontrer le seigneur de Blis, en sa maison de Chignaguet, en 1723. De même, et de façon encore plus évidente, le coup n'a pu se faire après le 29 mai 1721 date de l'enterrement au Change du seigneur des Fayes, Pierre de Banes. Non, c'est bien en 1714 que le vol eut lieu...

Elie Bonnet convint avec Lasaigne de la somme de 600 livres* en dédommagement, puis il demanda à Guillaume Lagorce, notaire royal à La Richardie, d'évaluer certains de ses biens à hauteur de cette somme. Les biens demandés par Lasaigne et son avocat ne rencontraient pas l'approbation de " Bitard " qui rapporta alors qu'il " préférait donner son col plutôt que les pièces ainsi évaluées " et demanda qu'on cherche une autre pièce de sa propriété, ce que Lasaigne refusa. Pour " se sortir d'affaire " et finalement préférant ne pas " donner son col ", Bonnet accepta les exigences de Lasaigne et l'affaire se termina ainsi pour lui, mais il resta encore quelques jours en prison " du fait de son indisposition " comme cela est précisé dans l'acte...

 

Vol de bœufs aux Golferies


Avant de passer à une histoire de polygamie qui a certainement perdu Jean Bonnet dit " Reyni ", voyons une dernière action de vol qui lui fut attribuée. En effet, " Reyni ", vagabond et momentanément de retour de fuite à Blis-et-Born, aurait volé vers 1716 (avec l'aide de trois ou quatre complices) des bœufs appartenant à un certain Antoine Prouillac des Golferies. Ce vol aurait causé la ruine de ce dernier. Non seulement " Reyni " vola les bœufs de Prouillac, mais en plus, il eut l'aplomb de lui demander " s'il avait de beaux bœufs et s'il avait de mauvais chiens "... Le 6 juin 1731, Jacques Albert, âgé de 47 ans et laboureur à Lacaud, soutenait au juge à Périgueux, qu'il y avait dix ou douze ans (1719 ou 1721) que " Reyni " lui avait révélé que Jean Lagrange, maçon aux Golferies, " l'accusait du vol des bœufs mais que ce n'était pas vrai et qu'il voulait alors lui envoyer trois balles dans le corps " ; " Reyni " chargea ensuite son pistolet en présence du témoin et alla chez Lagrange, et l'histoire ne dit pas ce qui se passa chez Lagrange aux Golferies. Un autre Antoine Prouillat, alors âgé de 30 ans et laboureur à la Gondie, révéla le 6 juin 1731 " que le lundi de la Pentecôte de la même année, revenant de Savignac-les-Eglises, il rencontra un jeune homme inconnu par lui, qui lui dit que les bœufs qu'on cherchait il y a quelques années étaient alors chez lui, que c'était le dit " Chignaguet " qui lui avait mené où il resta une quinzaine de jours malade ". Antoine Prouillat ne put préciser d'où le dit jeune homme venait, mais ce dernier lui avait précisé " que " Reyni " lui avait amené chez lui 7 paires de bœufs et qu'il les avait emportés lorsqu'il retourna chez lui ". Dans cette déposition, il est fait mention d'un certain " Chignaguet ", je pense que le jeune homme inconnu voulait parler de " Reyni " habitant de Chignaguet. " Reyni " aurait aussi été accusé d'avoir volé un bœuf au sieur Delpy de Saint Geyrac...

 

Crime de polygamie

Enfin, voyons maintenant la " pire des horreurs " pour les juges qui jugeaient Jean Bonnet dit " Reyni " en 1731. " Horreur " bien plus importante pour eux que celle d'assassinat, ce qui aurait peut-être été différent si l'assassiné avait été un noble ou un prêtre (ou s'il avait vécu trois siècles plus tard). Cette " horreur " impardonnable était celle de s'être marié devant Dieu en Charente-Maritime tout en ayant une autre femme - et des enfants - en Dordogne.

Le 26 juin 1731, Bertrand Peymalie, âgé de 49 ans et maréchal au Change, révéla au Palais de Justice de Périgueux qu'il y avait environ 22 ans (aux environs de 1710), lorsqu'il était dragon dans le régiment de la Lande, étant en garnison à Saint-Jean-d'Angély et étant allé se promener à une demi-lieue (environ 2 km) de cette ville, il entra dans un cabaret où il rencontra des marchands de cochons qui les conduisaient à La Rochelle. Parmi eux se trouvait un certain " Lavergne " qui se disait originaire du Périgord et précisément de la paroisse de " Bord* ". Peymalie lui répondit qu'il était lui-même du Change, ce qui amena le dit " Lavergne " à l'inviter à boire et à manger. Celui qui se disait " Lavergne " avait avec lui une femme et deux enfants. Plus tard, Bertrand Peymalie s'étant retiré de son service militaire et étant revenu chez lui au Change, entendit parler des méfaits de " Reyni ", et il fit le rapprochement avec le dit " Lavergne ".

Toujours le 26 juin 1731, un autre témoin, François Faure, âgé d'environ 48 ans et tapissier à Saint Front, révéla pour sa part qu'il y avait 23 ou 24 ans (1708 ou 1709) étant au château de la Dame de Chûne Depontieux " à travailler de son métier ", il lui aurait été dit " qu'il y avait un périgourdin qui étoit valet domestique dans la maison de messieurs de Bageauzy ". Plus tard, " y ayant été travailler de son métier " il y rencontra le périgourdin en question, un certain " Brantolme ". Le dit " Brantolme " quitta ensuite son travail pour une raison inconnue pour le témoin, mais il entendit dire qu'il était devenu marchand de cochons. Sept ou huit mois après, François Faure se trouvant à Saint-Jean-d'Angély, toujours " pour travailler de son métier, chez le sieur Dutartre /mot illisible/, général et président dans la dite ville, et étant dans la rue, il fit rencontre du dit " Reyni ", qu'il ne connaissait alors que sous le nom de " Brantolme " qui conduisait des cochons /.../ ". Quelques temps après, François Faure ayant quitté Saint-Jean-d'Angély et étant allé travailler au château du sieur Dauredier à environ 15 lieues (environ 66 km) de cette ville, il rencontra à nouveau le dit " Brantolme " qui se disait malade. Faure lui proposa de rester en sa compagnie et de travailler avec lui comme tapissier, ce qu'il accepta et ainsi il fut nourri dans le dit château avec les valets. Après quoi, le témoin étant passé dans plusieurs châteaux pour y travailler, le dit " Brantolme " resta en sa compagnie environ 15 ou 16 mois pour apprendre le métier de tapissier. François Faure le quitta en 1710 et il apprit ensuite que " Brantolme " s'était retiré vers Saint-Jean-d'Angély où il se maria. En 1729, le témoin rencontra chez le curé de la paroisse de Saint-Fraigne (en Charente), " Brantolme " avec un enfant de 13 ou 14 ans qui faisait payer la taille* (impôt) dans le dit bourg. Ils burent ensemble et, dans la conversation, Faure lui demanda " ce garçon que tu as avec toi est-ce bien ton fils, on m'a dit que tu avais une autre femme que tu as laissée en Périgord avec des enfants /.../ ". " Brantolme " lui répondit " que sa femme qu'il avait laissée en Périgord était morte ". Le témoin lui aurait alors répondu : " as-tu bien pensé à ta conscience et as-tu gagné ton jubilé, tu ne peux pas avoir laissé des enfants en Périgord et en avoir dans ce pays ". " Brantolme " lui répondit " qu'il ne faisait pas de tort aux enfants qu'il avait laissés en Périgord puisqu'il leur laissait le bien qu'il avait ".

 


L’église de Varaize en Charente-Maritime, où " Reyni " s’est marié illégalement avec Louise Gabory

 

De cette histoire, on peut dire qu'il est faux que la femme que Jean Bonnet dit " Reyni " avait laissée en Dordogne était décédée lorsque ce dernier se remaria en Charente-Maritime, puisque celle-ci, dénommée Françoise Desplas, est décédée à 55 ans le 25 septembre 1719 à Chignaguet. En ce qui concerne sa nouvelle femme (Louise Gabory) et ses quatre enfants (3 garçons et 1 fille) de Charente-Maritime, on sait qu'ils étaient du village de Varaize à quelques kilomètres à l'ouest-sud-ouest de Saint-Jean-d'Angély, village où " Reyni " se maria vers 1710. En contactant à la fois la mairie de Varaize et les Archives de cette région, j'ai appris que les actes d'Etat-Civil de cette époque avaient disparu, il n'est donc plus possible d'effectuer une recherche sur ce que sont devenus ensuite Louise Gabory et les enfants qu'elle avait eus de " Reyni ", en dehors du plus jeune des garçons qui était déjà décédé en 1731. On sait aussi qu'en 1731, l'aîné était âgé de 16 ans environ, que l'autre garçon vivant avait environ 14 ans et que la fille en avait environ 18.

 

Ultime retour d'exil

Le 11 mai 1731, vers 15 h, Martial Lagorce, clerc demeurant au village de Massoubras à Milhac d'Auberoche, rencontra le fils du maréchal du bourg de Milhac qui lui annonça que quelqu'un le demandait au cabaret de Fargou. S'étant rendu immédiatement au cabaret, il rencontra Jean Bonnet dit " Reyni " qui était avec Elie Bonnet dit " Bitard ". " Reyni " le pria d'aller chez Françoise Chignaguet, fille de feu Léonard Chignaguet assassiné, et de la prévenir qu'il allait lui rendre une visite pour éclaircir certains problèmes d'héritage. Il entendit dire par la suite que " Reyni " se rendit bien chez Françoise Chignaguet et qu'il lui fit des menaces puisqu'elle n'avait pas respecté sa parole. En effet, Front Prouillat allant à la fontaine de Chignaguet passa ce jour-là devant la porte de Françoise Chignaguet et vit alors " Reyni " dans une pièce de la maison (la fontaine en question est celle qui se trouve entre la Gondie et Chignaguet, et la maison en question est celle aujourd'hui de madame Alba Macquart, au Bas-Chignaguet). Sur l'héritage réclamé par " Reyni ", on sait que le mardi après la Pentecôte, il était venu chez Pierre Pradelou à Chignaguet et raconta que " Françoise Chignaguet lui devait son bien et qu'il voulait qu'elle lui donnât quelque chose de plus de valeur et que s'il était plus jeune, il casserait la tête à quelqu'un... ". Pour clore cette histoire d'héritage, j'ajouterai ce que Françoise Chignaguet rapporta elle-même le 27 mai 1731 au juge qui l'interrogeait : elle déclara en effet que " Reyni " eut la témérité d'aller chez elle pour l'insulter, lui demander de l'argent et pour lui réclamer un bien qu'il avait vendu à Léonard Chignaguet (l'assassiné de 1699), par contrat authentique.

Pensant peut-être qu'on aurait oublié ses méfaits, " Reyni " se rendit le 26 mai 1731 chez le juge Moulinard à Cubjac, pour régler ses différents de famille (blis-et-bornaise). C'est ce qui le perdit car il fut arrêté et conduit en prison à Périgueux, 15 jours après son retour au pays. Le 30 avril 1732, il fut jugé à Périgueux pour tous ses méfaits et crimes. Il fut condamné " à faire amende honorable* en chemise, une torche en main, du poids de deux livres*, au-devant de la grande porte de l'église de Saint Front de la place du gras, et ensuite conduit à la place de la Claûtre de la présente ville pour y être pendu et étranglé jusque mort naturelle s'en suive, à une potence qui sera pour cet effet dressée par l'exécuteur de la haute-justice, à laquelle il demeurera exposé pendant 24 heures ". Le condamné, au surplus, eut dix livres* d'amende envers le roi. C'en était fini pour " Reyni ", et son histoire est vite sortie des mémoires...

Pour terminer, quels sont les liens familiaux qui unissent les différents Bonnet cités dans ces affaires de familles ? (J'ai mis en gras les personnes mentionnées dans les différents documents de justice)
Guillaume Bonnet (originaire de Chignaguet) et son épouse Peyronne Marty (originaire de la Chausedie à Limeyrat) eurent 11 enfants entre 1633 et 1657. Parmi eux nous avons :

Anne qui naquit le 28 août 1640 et qui se maria le 10 novembre 1681 avec Léonard Chignaguet dit " Velloup ". Elle se maria donc à l'âge de 41 ans, était-elle veuve d'un premier mariage ? Quoi qu'il en soit, elle eut au moins deux enfants avec Léonard Chignaguet : Jean (né à Chignaguet le 8 mars 1684), et Françoise (née vers 1685, qui se maria avec Jean Chartroulle et qui décéda à environ 48 ans le 2 novembre 1733 à Chignaguet). Rappelons que Léonard Chignaguet dit " Velloup " est celui qui fut assassiné en 1699 par Pierre Seury et son complice Jean Bonnet dit " Reyni ".
Jean qui naît le 3 octobre 1650 (en même temps que son frère jumeau Pierre) est celui qui porta le surnom de " Bounidou " et qui se maria le 30 juin 1677 avec Marie Guinot originaire de Saint-Antoine-d'Auberoche. Après leur mariage, ils habitèrent à la Sommeronie (Saint-Antoine-d'Auberoche) où il exerça le métier de tailleur d'habits. C'est leur grange qui fut incendiée par Elie Bonnet dit " la Rose " et Girou Bonnet, une nuit vers 1681. Jean Bonnet dit " Bounidou " mourrut peu de temps après l'incendie de sa grange et Marie Guinot se remaria avec un certain Marc de la Roussie.

Elie qui naît le 26 novembre 1653, qui se maria le 1er novembre 1680 avec Catherine Prouillat (ou Prouillac) et qui décéda à 81 ans le 23 décembre 1734, à Chignaguet. Il s'agit évidemment de notre Elie Bonnet dit " la Rose " qui était tailleur d'habits à Chignaguet. Ils eurent plusieurs enfants, dont Elie dit " Bitard ", leur fils aîné.

Il est donc évident qu'à l'origine de l'incendie de la grange de la Sommeronie et de l'assassinat de Léonard Chignaguet dit " Velloup ", il y avait une histoire de forte mésentente dans cette famille : un différent entre deux frères, tous les deux tailleurs d'habits, et, au sujet de l'assassinat de " Velloup ", peut-être l'arrivée dans la famille d'une tierce personne qui allait, de ce fait, éloigner une partie du patrimoine de la famille Bonnet...
Mais quel est le lien familial entre Jean Bonnet dit " Reyni " et les trois frères et sœurs mentionnés ci-dessus ?

Jean Bonnet dit " Reyni " (alias " Lavergne ", alias " Brantolme ") serait né vers 1667 à Chignaguet si l'on considère l'information contenue dans son procès de 1731 qui mentionne son âge d'environ 64 ans. Si tel est le cas, il avait environ 32 ans au moment de l'assassinat de " Velloup ". Je n'ai pas trouvé la trace de sa naissance dans les actes d'Etat-Civil de Blis-et-Born en dehors d'un Jean Bonnet né le 30 août 1676 à Chignaguet, de Girou et Anne Latronche. Ce Jean Bonnet né en 1676 ne peut être notre " Reyni " puisque ce dernier se maria vers 1690 avec Françoise Deplas (ou Desplas), ce qui lui aurait fait l'âge d'environ 14 ans. D'autre part, Françoise Deplas décéda (à Chignaguet) à l'âge de 55 ans le 25 septembre 1719, ce qui fait que si son époux était le Jean Bonnet né en 1676, elle aurait eu 12 ans de plus que lui... Ce manque d'information sur l'origine précise de " Reyni " empêche de retrouver le lien de parenté exact avec " la Rose ". Avec Françoise Deplas, " Reyni " eut deux garçons.
Nous avons vu qu'il prit une seconde épouse à Varaize en Charente-Maritime vers 1710. Par manque de documents d'Etat-Civil dans cette commune pour cette époque, il ne m'a pas été non plus possible d'avoir des informations précises sur ce second mariage dont l'épouse était une certaine Louise Gabory. Avec Louise, " Reyni " eut trois garçons et une fille.

Pour terminer sur " Reyni ", je rappellerai qu'il prit, lors de sa fuite en Charente-Maritime, le pseudonyme de " Lavergne " puis de " Brantolme ". Sa fuite dans la région de Saint-Jean-d'Angély ne l'empêcha pas de revenir de temps à autres (en 1714, en 1719 et en 1721) à Blis-et-Born et sa région pour faire ses mauvaises actions. Son dernier retour - en mai 1731 - lui fut fatal, puisqu'il fut arrêté, emprisonné, jugé 15 jours plus tard et exécuté en 1732.

Girou Bonnet, déjà mentionné ci-dessus, était aussi tailleur d'habits à Chignaguet. Il s'était marié avec Marguerite Prouillat le 15 novembre 1685. Nous avons vu qu'il décéda de dysenterie le 29 août 1686 à Chignaguet. Sa veuve alla ensuite habiter à la Gondie.

 

 

LE CRIME DU SEIGNEUR DE BLIS

 

L'histoire que je vais vous conter maintenant, je l'ai écrite à partir de plusieurs documents se trouvant aux Archives du Périgord sous les cotes B315, B329 et B330. Elle met en cause Léon Foucauld, seigneur de Blis, domicilié en sa maison noble de Solignac (Haut-Chignaguet) et le fils Lasaigne (Raymond), greffier de la juridiction de Blis et domicilié aux Chabannes (maison actuelle d'Eliane et d'Alain Sartre). La victime était Léonard Chartroulle, lieutenant de la juridiction de Blis et domicilié aux Faucons, dans la paroisse de Montagnac-d’Auberoche.

L'enquête

Pierre Nouel du Pinier, assesseur du procureur du roi à Périgueux, se rendit le 17 septembre 1706 à Montagnac-d’Auberoche, en compagnie de son greffier et de ses " archers " pour enquêter sur un assassinat. En effet, la rumeur de l'assassinat du lieutenant de la juridiction de Blis était arrivée jusqu'à Périgueux. Léonard Chartroulle venait d'être enterré dans l'église de Montagnac.

La première personne que Pierre Nouel du Pinier rencontra était Jean Rebière, marguillier* du dit bourg de Montagnac et y habitant. Celui-ci précisa que le cadavre de Léonard Chartroulle avait été enterré le mercredi 15 septembre au soir, sur la droite et à trois grands pas de la porte de l'église. Effectivement, de cet emplacement - à 3 pieds de profondeur (un peu moins d'un mètre) -, Pierre Nouel du Pinier fit exhumer un cercueil en bois, dans lequel se trouvait Léonard Chartroulle enveloppé dans un linceul. Léonard Charriéras - maître-chirurgien* au Change - fut demandé pour l'autopsie, mais lorsqu’il arriva sur place, il refusa d'assumer cette tâche étant donné l'état de puanteur du cadavre. Cependant, François Charriéras, père du précédent et également maître-chirurgien*, domicilié à Vertiol (Eyliac), avait déjà précédemment fait une autopsie du cadavre en présence des officiers de la juridiction de La Chaloupie. Pierre Nouel du Pinier se retira ensuite chez Pierre Monteilh, hôtelier de Montagnac, pour établir un procès-verbal d'ordonnance destiné à François Charriéras, afin que ce dernier comparaisse muni de son rapport d'autopsie. L'enquêteur et son greffier se rendirent ensuite à Born pour passer la nuit à l'auberge de Guillaume Savignac (aujourd'hui la maison Grellier).

Chez Savignac, Pierre Nouel du Pinier et son greffier s'installèrent dans une pièce de l'auberge pour procéder aux interrogatoires :


Emplacement du tombeau de Léonard Chartroulle dans l’église de Montagnac-d’Auberoche

Le premier témoin fut Jean Bussière, âgé de 30 ans environ et " faure* " (maréchal-ferrant) au " Beau " (le Bost) à Eyliac. Ce dernier déposa sous serment que le mardi 14 septembre au soir, étant devant la porte de sa grange, il entendit des coups de feu du côté du lieu appelé " au bas du chemin blanc ", situé à environ 1000 pas de sa maison. Au même moment il entendit quelqu'un crier " aaah ! " à deux reprises. Il en conclut alors qu'on avait tiré sur quelqu'un dans les vignes qui sont à cet endroit. Effectivement, le lendemain matin (mercredi 15), vers midi, le précepteur des fils de " La Germinie " annonça au témoin qu'il avait vu un homme mort au dit lieu du " bas du chemin blanc ". Jean Bussière et son cousin Bernard se rendirent alors sur les lieux, sur le grand chemin (celui qui se trouvait encore il y a deux ans en contrebas de La Garmandie et qui est occupé aujourd'hui par l'autoroute en construction) où ils trouvèrent le corps de Léonard Chartroulle, avec une blessure sur le côté droit, son justaucorps et sa chemise brûlés à cet endroit. La victime avait également une blessure à l'œil gauche, due, semble-t-il, à un coup de fusil ou de pistolet. Jean Bussière révéla également que son cousin Bernard lui avait dit, le 17 septembre, qu'on accusait le seigneur de Blis, ce qui fut annoncé au seigneur Foucauld de Lardimalie qui passait devant la maison du témoin au Bost. Le seigneur de Lardimalie répondit simplement que " si c'était le seigneur de Blis qui avait fait le coup, il aurait fait une bien mauvaise action ".

Le second témoin fut Bernard Bussière (cousin du précédent), également " faure* " au " Beau " et âgé de 43 ans environ. Il déposa sous serment que le mercredi 15 septembre, " ayant envoyé chercher les chevaux du meunier de La Grave pour faire porter du " bled " au moulin par le nommé François Bussière, son fils, lequel étant de retour dit qu'on avait tué un monsieur dans le grand chemin au lieu appelé " au bas du chemin blanc " ". Bernard Bussière précisa que la chemise de la victime était brûlée sur une largeur correspondant à la paume de la main, du côté où il était blessé, et que la baguette d'un fusil (baguette utilisée pour tasser la poudre dans le canon du fusil) se trouvait près de lui. Il rapporta aussi que la veuve de Thenaud, " métayère " du sieur de Manzac ", lui avait dit que le seigneur de Blis était accusé d'avoir tué le dit Chartroulle parce qu'il aurait pris la défense de sa belle-sœur (belle-sœur de Chartroulle), que le seigneur de Blis aurait battue. Bernard Bussière aurait également entendu dire que le jour de l'assassinat, Chartroulle et le fils Lasaigne (greffier) " dînèrent " (déjeunèrent) chez Mathieu Miguot, hôtelier de " Chap du Pic " (Chadepy à Eyliac) et se rendirent ensuite ensemble en direction de Lardimalie pour décider avec la châtelaine, du jour des vendanges.

 


Plan napoléonien d’un secteur d’Eyliac avec indications des lieux mentionnés et de l’itinéraire de la victime


Le troisième témoin fut Mathieu Miguot, hôtelier de " Chap du Pic ". Ce dernier, âgé alors d'environ 50 ans, reconnut que le mardi 14 septembre Léonard Chartroulle et le fils Lasaigne arrivèrent vers 9h chez lui, qu'ils " dînèrent " (déjeunèrent) et qu'ils quittèrent son auberge vers les 14h pour aller au château de Lardimalie.

Le quatrième témoin fut Jeanne Gailhard, femme de Mathieu Miguot et âgée également d'environ 50 ans. Elle n'apporta aucun élément supplémentaire par rapport à ce que son mari révéla.

 


L’ancienne auberge de "Chap du Pic"


Le cinquième témoin fut Marie Audy, veuve de feu Louis Foulcon, âgée d'environ 35 ans et domiciliée aux " Foulcons " (Faucons) à Montagnac-d’Auberoche. Elle déposa que le mercredi 15, alors qu'elle était chez Léonard Chartroulle, au couché du jour, elle vit arriver le cadavre amené par le frère de la victime à l'aide d'une charrette. Elle prépara le corps pour les funérailles et remarqua ainsi qu'il comportait une blessure sur le côté droit et son habit brûlé au même endroit. Elle ajouta que la tête et le visage étaient couverts de contusions.

Le sixième témoin, Jean Margoutier, laboureur à La Garde (Eyliac) et âgé d'environ 70 ans, déposa que le mardi 14, " le jour couché ", il entendit de sa maison tirer des coups de feu dans la courbe du lieu appelé le " chemin blanc ". Le lendemain matin, vers les 10h, la fille du nommé Regal, ayant amené boire ses bœufs près de La Garde, annonça au témoin qu'elle avait vu un homme mort au " Terrier blanc ". Jean Margoutier s'y rendit accompagné de voisins et trouva le cadavre à l'endroit mentionné. Il présentait une contusion au niveau de l'œil gauche et - semble-t-il - trois blessures au niveau de la poitrine et sur le côté droit.L’emplacement du crime est marqué par la flèche : il s’agit du débouché du chemin qui venait du haut du talus et qui aboutissait au chemin visible sur cette photographie prise en 2000 et qui se trouve aujourd’hui sur le tracé de l’autoroute. Après cette dernière déposition, l'enquêteur demanda au témoin de l'accompagner sur les lieux du crime, où ils allèrent à cheval. Le grand chemin, d'une largeur de 6 pieds (1,94 m) était bordé, des deux côtés, de buissons également de 6 pieds. D'un côté il y avait un terrier avec bois et " montagne " (il est évidemment question ici d'un talus) et pas de maisons voisines à moins " d'un demi-quart de lieue " (environ 550 m). Il n'y avait alors plus aucune trace de sang et l'enquêteur retourna, avec sa garde, à Born, à l'auberge de Guillaume Savignac, où il donna l'ordre de prise de corps du seigneur de Blis et du fils Lasaigne. Cet ordre fut transformé par le procureur du roi de Périgueux en " ajournement personnel " (assignation à comparaître à jour fixe devant le tribunal) pour le seigneur de Blis (et oui ! on n’allait tout de même pas demander à des gendarmes d'aller chercher un noble chez lui... Nous voyons donc qu'à l'époque il y avait deux poids deux mesures suivant que vous étiez croquant ou aristocrate, la Révolution arrivera quelques décennies plus tard...). Le fils Lasaigne n'eut pas droit à tant d'égards, et sept mois après, le 23 avril 1707, Pierre Nouel du Pinier se rendit avec sa garde au village des Chabannes pour perquisitionner (j'ai déjà parlé de Raymond Lasaigne dans l'histoire précédente, il habitait la maison appartenant aujourd'hui à Eliane et Alain Sartre). Ils ne le trouvèrent pas et ne purent donc pas le conduire en prison à Périgueux comme l'ordonnait le décret de prise de corps.

Léon Foucauld, seigneur de Blis, se rendit à Périgueux le 9 juin 1709 pour être interrogé au Présidial. Voici ce que rapporte l'acte de cet interrogatoire :

Interrogé sur son nom, âge et qualité :
Répond : " se nommer Léon Foucauld, escuyé, seigneur de Blis, âgé de 31 ans environ et habitant le village de Chignaguet paroisse de Blis en Périgord ".

A la question : " où étiez-vous le quatorzième du mois de septembre de l'année 1706, jour de mardi " :
R : " qu'il croit qu'il était en sa dite maison au dit village de Chignaguet où il était tous les jours ".

A la question de s'il connaissait la belle-sœur de feu Chartroulle et s'il n'avait jamais eu de querelles ni différents avec elle :
R : " connaître deux belles-sœurs du dit feu Chartroulle et n'avoir jamais eu aucune querelle ni différent avec elles ".

A la question de s'il a connu le dit feu Chartroulle, lieutenant de la juridiction de Lardimalie et de s'il n'a aussi jamais eu aucune querelle ni différent avec lui :
R : " l'avoir connu et n'avoir jamais eu aucune querelle ni différent avec lui ".

A la question de s'il n'était pas vrai qu'ayant battu la belle-sœur du dit Chartroulle, ce dernier n'aurait pas pris son parti et si pour cela il n'aurait pas, par haine, confessé de tuer Chartroulle. D'autre part si ayant su que Chartroulle devait aller au château de Lardimalie pour décider du jour des vendanges en passant par le chemin appelé " Terrier blanc ", il ne serait pas allé l'attendre sur le dit chemin pour le tuer. Enfin, si quand le dit Chartroulle passa effectivement par le dit chemin en compagnie du fils Lasaigne, le soir, il ne lui aurait pas tiré un coup de fusil qui l'aurait blessé et si en tombant il ne l'aurait pas tué à coups de crosse et coups de fusil :
R : " dénie tout le contenu du sus-dit interrogatoire /.../et qu'il ne vit le dit jour ni le dit Chartroulle, ni le fils Lasaigne ".

Enfin, à la question de s'il ne savait pas que le dit Chartroulle avait été tué le dit jour 14 septembre 1706 au dit lieu du " Terrier blanc " et s'il ne savait pas par qui il avait été tué :
R : " qu'il ouï-dire par plusieurs personnes que le dit Chartroulle avait été tué au dit lieu du " Terrier blanc ", mais ne sait pas par qui il a été tué ".

 

Le 11 juin suivant, c'est au tour de Raymond Lasaigne d'être interrogé au Présidial par le procureur du roi :

Interrogé sur son nom, âge et qualité :
Répond : " se nommer Raymond Lasaigne, greffier de la juridiction de Blis, âgé de 25 ans environ et habitant le village des Chabannes paroisse de Blis en Périgord ".

A la question de s'il a connu le dit feu Chartroulle, lieutenant de la juridiction de Lardimalie :
R : " l'avoir connu comme ayant été son greffier ".

A la question : " où étais-tu le quatorzième septembre de l'année 1706, jour de mardi " :
R : " qu'il ne s'en mémoratif " (qu'il ne s'en souvenait pas).

A la question de s'il n'était pas vrai que le dit jour il n'était pas avec le feu Chartroulle en la maison du nommé Miguot, aubergiste à " Chadepit " où ils dînèrent, et de ce qu'ils firent ensuite :
R : " se rappeler qu'environ le dit jour /.../ il fut fort bien en compagnie du dit Chartroulle chez le dit Miguot, hoste au dit lieu de " Chadepit " où ils dînèrent ensemble ; après avoir dîné ils sortirent ensemble pour aller à Lardimalie et parler à la Dame du lieu afin de prendre jour pour faire crier* les vendanges ; quand ils furent près d'un chemin qui conduit aux " Claux de Chiniaguet " le dit Chartroulle dit au déposant qu'il avait des affaires à La Chaloupie et puisqu'il était là si près, il y allait passer pour parler à la nommée Marie, fille de chambre de la Dame de La Chaloupie, de la part du père de la dite Marie ; (Chartroulle) dit aussi au déposant de s'en aller à Lardimalie, l'y attendre /.../ ".

A la question de si le dit Chartroulle et lui-même n'étaient pas armés d'un fusil ou d'un pistolet :
R : " qu'il n'avait aucune arme soit fusil, pistolet, ni épée et que le dît Chartroulle n'avait aussi aucun fusil ni épée et ne sait pas s'il eu un pistolet ".

A la question de s'il ne sait pas que le dit jour, au lieu du chemin du " Terrier blanc ", Chartroulle fut tué :
R : " qu'étant au dit château de Lardimalie (il) ouï-dire que le dit Chartroulle avait été tué et qu'on l'avait trouvé mort au lieu du " Terrier blanc ", mais ne sait autrement qui l'a tué ".

L'interrogateur lui dit alors qu'il ne disait pas la vérité et que s'il n'était pas vrai qu'étant sortis ensemble de chez Miguot, ils n'allèrent pas ensemble au lieu du " Terrier blanc " où ils rencontrèrent le seigneur de Blis qui, armé d'un fusil et caché derrière un buisson, donna des coups de fusil au dit Chartroulle ; si ce dernier étant tombé par terre, et voyant qu'il n'était pas mort, le seigneur de Blis et lui-même ne l'achevèrent pas à coups de crosse ; enfin, si le seigneur de Blis ne lui avait pas donné de l'argent pour amener Chartroulle en ce lieu :
R : " dénie le contenu du sus-dit interrogatoire /.../ "

 

A compter du 11 juin 1709, Raymond Lasaigne était en prison où il s'était rendu volontairement, comme le prouvent les extraits d'écrou signés Lavalette, concierge de la prison royale de Périgueux. Le 12 juin, il sollicitait que son jugement soit renvoyé devant le juge ordinaire de Lardimalie, mais sa requête fut rejetée par le procureur du roi. Un nouvel interrogatoire de Raymond Lasaigne eut lieu à Périgueux le 13 juin 1709. Ce dernier nous apprend peu de choses nouvelles : il précise simplement que Chartroulle lui remit une requête pour la Dame de Lardimalie au sujet de la publication du jour des vendanges ; il précise également que c'est le lendemain ou le surlendemain qu'il apprit que Chartroulle avait été tué, sans savoir qui était le meurtrier. On apprend aussi, grâce à ce nouvel interrogatoire, que Raymond Lasaigne passa deux ou trois nuits, à compter du jour du crime, au château où la Dame de Lardimalie l'avait retenu, qu'il avait quitté Chartroulle aux environs de 13 h et qu'il arriva à Lardimalie environ une heure plus tard.

Le même jour, 13 juin 1709, nous avons aussi la trace d'un nouvel interrogatoire de Léon Foucauld, seigneur de Blis : pas vraiment de nouvelles révélations de sa part. Le lendemain (14 juin) dans une supplication, le seigneur de Blis dit " qu'il est innocent des fausses et calomnieuses accusations (venant) de quelques ennemis cachés ". Il convient de signaler quand même que le seigneur de Blis n'était pas retenu en prison ces 11 au 13 juin 1709, contrairement au pauvre Raymond Lasaigne... Les demandes de convocations passaient par son " procureur* ", maître Nicolley Laularie. Lasaigne fut néanmoins libéré le 15 juin de la même année, à charge pour lui de se présenter dès qu'il serait reconvoqué.

Jacques Coignet, prêtre, chanoine et vicaire général de monseigneur évêque de Périgueux, écrivit le 21 juin 1709 une lettre monitoire* au curé d'Eyliac (Jacques Bertin), à la demande du procureur du roi en la maréchaussée du Périgord, en lui demandant de bien vouloir avertir, au cours de la messe paroissiale d'Eyliac et ceci pendant trois dimanches consécutifs, tous ceux et celles qui sauraient la vérité sur l'assassinat de Léonard Chartroulle et la déclarer. La lettre devait être remise au curé d'Eyliac le 17 juillet, par le sieur Montabon, prêtre, qui se serait déplacé pour cela sur Eyliac. Le jour de la remise du monitoire*, une foule de gens s'opposèrent à la publication de la dite lettre et fermèrent la porte de l'église, ce qui obligea le sieur Montabon à se retirer. Une nouvelle ordonnance de publication du monitoire* fut envoyée en décembre 1715 au curé Bertin d'Eyliac.

La justice de l'Ancien Régime* pouvait être aussi lente que celle de nos jours... En effet, ce n'est que le 19 février 1716 - donc neuf ans et cinq mois après le meurtre - que le procès repris au Présidial de Périgueux (on comprend donc pourquoi le seigneur de Blis se trouvait chez lui en 1714 : cf. l'histoire précédente). Le procès reprit donc ce 19 février 1716 par l'audition du témoin Jean Puymalie, lieutenant de la juridiction, habitant Saint-Antoine-d'Auberoche et âgé d'environ 35 ans. Celui-ci déclara qu'étant à la chasse sur Eyliac, dans une vigne proche d'un grand chemin, il aurait vu Chartroulle attraper le fusil du seigneur de Blis au moment où celui-ci voulait lui en assener un coup sur le visage. Le seigneur de Blis fit feu sans que Raymond Lasaigne ne s'interposât. Le témoin vit Chartroulle tomber et crier à trois reprises.

La poursuite du procès eut lieu le 23 février avec l'audition de Guillaume Savignac, alors âgé d'environ 50 ans. Ce dernier déposa qu'en novembre dernier (1715), revenant de la paroisse d'Eyliac, il aurait rencontré Raymond Lasaigne vers 13 h, alors qu'il venait de vendre du lait dans un village ; en passant au niveau du " Terrier blanc ", ce dernier lui aurait révélé que c'était l'endroit où avait été tué Chartroulle. En voulant en savoir plus sur les faits, Savignac apprit de Lasaigne que le meurtrier (sans le nommer) avait voulu donner un coup de crosse de fusil sur Chartroulle qui tomba sur le dos. Le meurtrier tira ensuite un coup de feu sur la victime. Plus tard, le 3 novembre 1716, Guillaume Savignac apprendra de Lasaigne que le meurtrier était bien le seigneur de Blis.Condamnation à mort et grâce du souverain...

Le 17 avril 1716, suite à un décret de prise de corps du seigneur de Blis, daté du 12 mars, une perquisition eut lieu à Chignaguet chez l'intéressé (Repaire de Solignac). Personne n'ayant été trouvé sur place (il n'y avait que les meubles), une ordonnance fut laissée à Elie Desmortier, bordier* du seigneur de Blis, demandant à ce dernier de se constituer prisonnier, sous quinzaine, à Périgueux. Le 28 mai de la même année, il n'y avait toujours pas de seigneur de Blis dans la prison royale de Périgueux, ce qui amena la justice à remettre une nouvelle ordonnance à Elie Desmortier à Chignaguet, pour son maître. L'ordonnance fut également placardée dans plusieurs carrefours de Blis-et-Born et son annonce fut criée par Léonard Alard (" trompette ordinaire " de la ville de Périgueux), qui s'était déplacé pour cela.

En mars 1717, une ordonnance assigna Lasaigne à se constituer à nouveau prisonnier en la ville de Périgueux, pour permettre une confrontation avec les témoins. En juillet de la même année, Raymond Lasaigne ne s'était toujours pas constitué prisonnier...

En janvier 1718, Léon Foucauld, seigneur de Blis, toujours absent à l'audience, fut convaincu de meurtre, pour réparation duquel il fut condamné à avoir la tête tranchée sur un échafaud dressé en la place publique de La Claûtre à Périgueux, ainsi que 600 livres* d'amende envers le roi. Quatre ans et huit mois après (en septembre 1722), une lettre de grâce royale lui garantissait la vie. Cette grâce, qui faisait partie d'une amnistie décrétée par le roi juste avant son sacre (le 25 octobre 1722), l'amena à ne plus craindre la justice et le 15 septembre, on retrouve Léon Foucauld, seigneur de Blis, présent à l'audience du présidial de Périgueux, à genoux, les fers aux pieds, écoutant la lecture des lettres de grâce et de pardon qui lui avaient été accordées par sa Majesté Louis XV. Ces lettres sont datées du mois de juillet précédent, signées par le roi et le régent, le Duc d'Orléans. Elles avaient été envoyées de Versailles après avoir été scellées du grand sceau de cire verte. Il fut néanmoins condamné à verser une aumône de 15 livres* au couvent des Recollets de Périgueux, pour prier Dieu pour le repos de l'âme de Léonard Chartroulle...

 

Léon Foucauld seigneur de Solignac, de Blis et de la Renaudie

La généalogie des Foucauld est parfaitement connue (André Lavergne, 1985, Marcel Berthier) : cette famille est présente en Périgord depuis le Xe siècle et à Lardimalie depuis la fin du XIIIe siècle avec le mariage de Bertrand Foucauld avec Alix Urdimal, héritière de Lardimalie. La branche des Foucauld de Blis est issue de celle de Lardimalie depuis le tout début du XVIIIe siècle. En effet, c'est Léon Foucauld, fils de Jacques Foucauld seigneur de Lardimalie, qui hérite du domaine de Solignac (Chignaguet) et qui devient ainsi seigneur de Solignac et de Blis. Par son mariage (le 3 juin 1674) avec Anne de Vergnes, fille de Jean de Vergnes, seigneur de La Borie du Pont à Lembras (près de Bergerac) et de Jeanne de Rodarel, il ajoute La Renaudie à ses titres - le château de La Renaudie à Lembras étant celui de sa belle-famille. Léon Foucaud et Anne de Vergnes eurent d'abord (5 octobre 1675) un fils nommé Henry qui décéda 2 ans après. Du fait de la disparition précoce d'Henry, son frère Léon, qui naquit le 29 janvier 1678 à Solignac (Chignaguet), devenait l'héritier du domaine de Solignac, de la seigneurie de Blis et de celle de La Renaudie. C'est ce Léon Foucauld (écuyer puis chevalier, enfin vicomte) qui fut l'assassin de Léonard Chartroulle en 1706.

Nous avons vu que ce Léon Foucauld, seigneur de Blis et de La Renaudie, fut gracié pour ce crime par Louis XV en septembre 1722. Un mois après, le 12 octobre 1722, il vendait sa propriété de Solignac (déjà en bien mauvais état) à Jean Moulinard, avocat et juge de la juridiction de Cubjac (c'est ce dernier qui fut à l'origine de l'arrestation de Jean Bonnet dit " Reyni " dont je vous ai conté l'histoire dans le chapitre précédent). Le père de Léon Foucauld - également prénommé Léon - était décédé depuis longtemps, et sa mère, Anne de Vergnes, décéda en janvier 1707 à Solignac (son corps se trouve dans l'ancien cimetière de Blis). Son frère Martin Foucauld seigneur de Bord*, avait quitté Blis-et-Born, quant à ses sœurs, elles étaient décédées.

Ruines de Solignac (Chignaguet) : ce qui reste aujourd’hui du " repaire noble " des seigneurs de Blis

Après avoir vendu son domaine noble de Blis-et-Born, Léon (toujours célibataire) alla s'installer dans le château maternel de La Borie du Pont - appelé aussi La Renaudie et parfois La Renaudie du Pont - et on ne parla plus des seigneurs Foucauld de Blis dans la paroisse de Blis-et-Born. La famille disparut de cette paroisse en même temps que la maison noble de Solignac (il n'en reste aujourd'hui que la ruine que nous appelons la tour de Chignaguet). Le 30 novembre 1724, Léon Foucauld, qui avait conservé le titre de seigneur de Blis, se maria à Campagnac avec Suzanne de Tessières, demoiselle de La Bertinie (Robert de Tessières, 2001). Ils eurent huit enfants, dont François, l'aîné, qui fut mousquetaire du roi en 1742, lieutenant-colonel en 1771, puis maréchal de camp en 1784. Ce dernier s'illustra dans de nombreuses campagnes : en Flandre, en Allemagne et fut blessé à Hastenbeck en 1757.

A Lembras, notre Léon Foucauld ne s'était pas assagi et ainsi, il réapparaît dans la série B (B1903) des Archives départementales en tant qu’accusé de tentative de meurtre contre Jean Bouigue, notaire royal. Cette histoire rocambolesque demanderait qu'on la raconte également mais cela nous mènerait trop loin et, de toutes façons, elle ne concerne pas Blis-et-Born. Ce seigneur de Blis n'était certainement pas très recommandable, il apparaît comme un homme très imbu de lui-même et de ses privilèges et certainement très arrogant. Du moins c'est ainsi que je le vois dans le miroir des Archives. Il décéda à La Renaudie le 30 novembre 1738, à l'âge de 61 ans.

 

 

PROUILLAC ET SA BANDE

 

Pierre Richard s'était posé de nombreuses questions avant de dicter la lettre qu'il allait envoyer à Périgueux au Représentant du peuple (le citoyen Chauvier). Ce n'était pas dans sa nature de s'adresser aux autorités de justice, ni - et pour cause - aux grenadiers de la garde nationale*. Il savait très bien que dans son petit monde de Blis de Bord* (à l'époque on disait souvent Blis de Bord* puisque auparavant on disait " Blis d'Auberoche " et " Born de Blis ") on n'aime pas les histoires et on ne demande que la tranquillité du terroir. En écrivant au Représentant du peuple pour exposer tout ce qu'il bougonnait depuis des mois, il savait très bien que c'était toute la paroisse - et même au-delà - qui allait être appelée à témoigner au prétoire. Ses concitoyens, il les forçait ainsi - malgré eux - à le suivre dans sa démarche, mais en même temps il les aidait à retrouver la tranquillité perdue. C'est depuis plusieurs années que ses concitoyens auraient dû porter plainte, avec parfois beaucoup plus de raisons que lui, mais chacun tremblait à l'idée de parler...

Dans ces six premières années de la période révolutionnaire, la paroisse de Blis de Bord* n'a pas beaucoup évolué par rapport à l'Ancien Régime*. Pour les métayers de ces petits lopins de mauvaises terres de la France profonde, la Révolution n'est pas immédiatement synonyme de rupture radicale avec le passé. Certes, le seigneur de la Châtellenie, le marquis Louis II (dit parfois Arnaud) Foucauld de Lardimalie, après une première période de députation - du côté de la noblesse - aux Etats Généraux, a émigré en 1792 à l'étranger où il commande dans " l'Armée des princes* " la " Compagnie à cheval des gentilshommes du Périgord ". Seulement ce sont aujourd'hui les bourgeois qui sont les maîtres des terres, ces hobereaux campagnards qui n'ont de " noblesse " que ce qu'ils veulent bien faire croire à nos pauvres paysans et qui tirent, pour une grande part, leur enrichissement des déboires des nobles et de la vente des biens nationaux* du clergé, grâce à cette " monnaie de singe " que sont les assignats*. Certes, la redevance seigneuriale vient d'être supprimée (le 25 août 1792), de même que l'abolition de la dîme, décrétée sans indemnité le 17 juillet 1793, cet impôt en nature que le Prieur de Born et l'Abbaye de Chancelade réclamaient - avant 1790 - deux fois l'an sur les récoltes, mais dont la ponction sera reprise ensuite par les nouveaux maîtres (la Révolution qui entraîne l'abolition de la féodalité, est toujours l'affaire des bourgeois des villes, elle ne se préoccupe pas de la paysannerie qui pourtant nourrit les citadins). Les bailleurs de métairies, cédées à " mi-fruit* ", continuent à ponctionner le pauvre " colon* ", toujours deux fois l'an, avec un fort loyer en nature (gélines*, fruits, céréales). Heureusement qu'il y a " la chatigno " ! C'est elle qui, séchée dans les clédiers*, constituait la nourriture fondamentale des paysans, même si elle est difficile à digérer et donne des vents. Ramassée en octobre, blanchie dans le " toupi " - dit aussi la " oulo " - au moment du ramassage, séchée et conservée au grenier, la châtaigne se consommait toute l'année, le plus souvent transformée en farine puis en pain. Façonnés par un sol rude et pauvre, les paysans de cette petite paroisse étaient dotés d'une robustesse à toute épreuve, ils étaient durs comme le silex des métairies qu'ils exploitaient. Même ceux que la nature n'avait pas dotés d'une forte constitution, opposaient à la fatigue une résistance que les citoyens des villes ne soupçonneraient pas dans des corps si malingres. Ils ne faisaient pratiquement jamais appel à Jacques Froidefont sieur Lafond, chirurgien* au Change : " ei char par estre sanné coume un tessou " comme ils disaient. Quand ils étaient malades, la bénédiction du Prieur de Bord*, le Père Pastoureau, ne leur coûtait que quelques messes pour le repos de leur âme sachant que de toutes façons, après le chirurgien* et la dépense du vivant, le curé demanderait aussi quelques sous, alors autant ne payer qu'une fois et au moment où on n'en aurait plus jamais besoin. Ils avaient bien souvent leur lot de misères, mais ils résistaient à toutes, ou plutôt à presque toutes. La grande misère de leur existence de métayer d'une terre à rendements médiocres, avec un minable cheptel qui ne se remettait que difficilement de la grande épizootie* des années 70 de ce XVIIIe siècle, leur faisait oublier bien des ennuis de santé pour lesquels ils ne pouvaient même pas prendre de repos en dehors des périodes les plus rudes de l'hiver, et encore... Il leur fallait poursuivre la fouille de cette terre de silex et d'argile qui n'était pas suffisamment féconde pour nourrir correctement leurs enfants et les problèmes de subsistance se sont accrus en 1790 suite aux grands froids de 1789 et à l'épuisement des récoltes de châtaignes dès décembre 1792 : le seigle y poussait bien, un peu aussi ce fameux " blé d'Espagne* " (" lou bigarrouei ") qui est apparu à Périgueux en 1693 (introduit croit-on par un évêque venu du pays de Bigorre) et qui prenait l'été le relais de la châtaigne. La farine de " blé d'Espagne* " était transformée en gâteaux, cuits sous la braise, pétrie en boules, ou mélangée à la soupe avec un peu de lard rance. Pour le chanvre (" la charbe "), ceux du Change étaient bien mieux lotis avec leurs bonnes terres de la plaine alluviale. Non ! les paysans de Blis-et-Born ne rechignaient pas devant leur tâche, si dure était-elle, mais la métairie était bien trop exiguë. Levés avant le jour, abandonnant leur travail juste avant la nuit, la lumière du jour et la position du soleil leur servaient de régulateur. Avant ces années de troubles, les travaux des champs étaient régulés par l'Angélus du matin, qui donnait le signal du départ ; celui de midi l'arrêt de la mi-journée ; quant à celui du soir, il s'agissait du repère journalier certainement le plus attendu qui obligeait l'arrêt pour cette prière en l'honneur du mystère de l'Incarnation, et, en même temps, signalait la fin de la journée et le retour à la ferme. Mais voilà, les conventionnels* de la capitale avaient interdit la sonnerie de la cloche de l'église pour des raisons qui ne concernent que les villes et qui, dans nos campagnes, dépassaient la raison... Midi était le moment d'une " frottée " de pain à l'ail et oignon, qui avait le mérite de tromper la faim, et, le soir venu, la soupe trempée était terminée par un " chabrot " de " demi-vin ". Pas de jours fériés, seule la messe de fin de " décadis* " sortait le paysan de ses travaux agricoles, pour les exigences du culte, la paix de l'âme et aussi - et surtout pendant cette période troublée - la lecture en chaire avant le commencement de la messe, par Jean Couret, greffier de la municipalité nouvellement née, des nouveaux textes de lois. C'était aussi le moment d'apprendre quelques bribes de nouvelles venues de Paris et vieilles de plus d'un mois. Qu'étaient devenus les vœux de la communauté rurale de Blis-et-Born, exprimés le 6 mars 1789 dans son Cahier de doléances* en vue de l'assemblée des Etats Généraux ? Elle avait bien demandé au Roi Louis XVI, qu'il considèrât son état de misère en supprimant les huissiers aux tailles* qui la dévoraient, et ses députés communaux - du Tiers Etat - (Gautier du Defeix et le notaire Lagorce de La Richardie) avaient pourtant remis ses doléances au député périgourdin du Tiers Etat (Fournier de La Charmie), à Périgueux le 16 mars 1789, lors de la réunion solennelle à la cathédrale Saint-Front. Nos pauvres paysans ne demandaient pas l'aumône, ils étaient bien trop fiers pour cela, mais ils ne voyaient pas vraiment les choses changer quant à leurs conditions de vie, pourtant on leur rabâchait de mots nouveaux : " liberté ", " égalité ", " abolition des privilèges "... Mais quelle confiance pouvait-on avoir en des députés appartenant à une bourgeoisie nantie ? Que pouvait-on attendre d'un Fournier de La Charmie réputé par ailleurs d'une apathie chronique qui le faisait surnommer " Fournier le Dormeur " ? Non, nos malheureux paysans périgourdins ne pouvaient rien attendre de leurs députés, plus attachés aux causes de la bourgeoisie des villes qu'à celles des campagnards. Le député de la noblesse, Foucauld de Lardimalie (avant qu'il n'émigre), avait bien moins besoin qu'on lui " graisse les nerfs " pour défendre avec acharnement la foi religieuse et la monarchie ; il lui était même arrivé de défendre certaines sollicitations paysannes, certainement plus par crainte des jacqueries qui s'étaient développées en 1790, que par véritable apitoiement. Les paysans avaient appris qu'ils étaient, depuis le 22 septembre 1792, grâce à la Convention*, sous régime républicain et que le roi était mort le 21 janvier 1793. Mais que savirent-ils, en dehors de ce qui se passait dans la Sénéchaussée de Périgueux, sur ces années de la " Terreur* " qui suivaient la chute du parti des Girondins* le 2 juin 1793 et qui correspondaient à la dictature du Comité de salut public* désigné par le parti des Montagnards* et son chef, " l'incorruptible " et sanguinaire Maximilien de Robespierre ? Peu de choses bien que les députés du département siégeâssent du côté de " la Montagne ". En tout cas, Pierre Richard ne savait pas encore, lorsqu'il dictait sa lettre à Bord*, ce jour du 28 ventose an III (18 mars 1795), que Robespierre et ses amis Jacobins* étaient tombés le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Ce Périgord de coteaux et plateaux restait à l'écart de la diffusion rapide des nouvelles des villes, par manque de rivière navigable et de routes permettant le déplacement des colporteurs, sans oublier que ces routes étaient de plus en plus le théâtre de brigandages liés à la désertion. Les distances et la lenteur des communications étaient la cause aussi de la transmission d'informations très dénaturées. A Blis-et-Born, personne ne fut guillotiné place de La Claûtre (le plus proche était le Père Léger Limoges, curé de Brouchaud), cependant les dérives de la Révolution n'y étaient pas inexistantes, c'est ce que nous allons voir maintenant grâce à une série de 36 cahiers de justice conservés aux Archives du Périgord (cote 24L45).

Pierre Richard était habitant de Blis-et-Born depuis plus de 20 ans. Arrivé à Chignaguet le 13 février 1772 pour se marier avec Jeanne Albert, fille de Léonard Albert et de Jeanne Chartroulle, il venait de Lescuras, village de Saint-Pantaly-d'Ans (devenu " Pantaléon-le-Bon-Vin " pendant ces années de la Révolution) pour s'installer dans le domaine de son beau-père et poursuivre ses activités de laboureur. Laissons maintenant Pierre Richard nous raconter lui-même les évènements qui venaient de terroriser notre commune, puisque c'est lui qui eut le courage de les révéler et ainsi, les faire entrer dans l'Histoire de cette entité administrative nommée " Dordogne " qui venait d'être créée par l'Assemblée Constituante (janvier 1790) sur le comté du Périgord en y rattachant le Nontronnais et une partie de l'Agenais et de l'Angoumois. Que disait sa lettre de dénonciation, adressée ce jour 28 ventose an III (18 mars 1795) au Représentant du peuple à Périgueux ? La voici telle qu'elle est conservée aux Archives de la Dordogne :
Pierre Richard, laboureur de la commune de Blis de Bord*, soussigné, te dénonce Pierre Prouillac, maire de la sus dite commune, comme coupable des faits suivants qu'il offre de prouver par témoins :

1° Le sus dit Prouillac, agent national* lors de la vente des biens du presbytaire de la dite commune, loin de rendre les affiches publiques, suivant les décrets, les supprima entièrement dans la vue de tourner à son profit l'effet de la vente, ce qui lui réussit parfaitement puisque de tous les habitants de la dite commune, deux seuls se présentèrent aux enchères, qui étaient le nommé Teyssiéras, officier municipal et un nommé Guillaume Duroudier (ou Duradieu), mendiant de profession et à la solde de Prouillac, en sorte qu'avec ces deux seuls enchérisseurs de la dite commune il ne lui était pas difficile de se faire adjuger les effets à vendre et sur lesquels il avait jeté son dévolu en sorte que la délivrance lui en fut faite moyennant une modique somme de quinze cent et quelques livres*. Je dis modique eut égard à la valeur des fonds vendus et la revente qu'il en fit, peu de jours après, au nommé Savignac, également officier municipal, moyennant la somme de deux mille huit cent et quelques livres*, est une preuve plus que suffisante de la collusion. Outre que la véritable valeur des dits fonds excède de beaucoup la sus dite somme de deux mille huit cent livres* et si les citoyens habitants de la dite commune, riches et en état de faire cette acquisition, eussent eu la connaissance de la vente, la République y aurait eu un avantage bien plus conséquent par les fortes enchères.

2° Le dit Prouillac s'est commis fort souvent à désarmer divers particuliers de la commune dont il a gardé les armes et tourné à son profit.

3° Le dit Prouillac, actuellement maire, se rendit au mois de janvier, vers les huit à neuf heures du soir chez moi, accompagné de huit personnes, parmi lesquelles était Teyssiéras, officier municipal et son consort, qui me firent sortir de mon lit où j'étais couché et m'engagèrent à les faire boire et manger, à quoi je condescendis bien vite, crainte de quelque facheux évènements, en sorte qu'ils passèrent quasi toute la nuit chez moi, buvant, mangeant et chantant, sans égard à deux malades que j'avais dans leur lit.

4° Le dit Prouillac use continuellement envers la majeure partie des citoyens de la dite commune des menaces les plus terribles, en sorte qu'à peine se croit-on un peu en sureté chez soit.

5° Le dit Prouillac, accompagné de ses satellites ordinaires, se rendit chez le citoyen Lachaud qui, les voyant arriver, se ferma dans sa maison ; mais la porte ne put résister à leur fureur. Ils l'enfoncèrent, entrèrent, se saisirent du dit Lachaud, le conduisirent chez Savignac, cabaretier et officier municipal, se firent donner à boire et à manger aux dépens du dit Lachaud, et, non content de lui avoir fait essuyer toutes les avaries imaginables dans la maison, ils le firent mettre à genoux en le menaçant.

6° Le dit Prouillac fit arrêter le citoyen Roche et le fit conduire au cabaret où il le garda toute la journée, le força à le faire boire et manger et ses satellites, et ce parce que ce citoyen avait vendu quelques boisseaux* de blé sans permission, quoique la loi ne s'y opposa pas alors.
Je n'entrerai point dans un plus long détail des vexations commises par le dit Prouillac pour ne pas abuser de ta patience, et si tu te donnes la peine de prendre d'autres éclaircissements, tu verras que je n'ai pas amplifié la dite dénonciation. D'ailleurs, ce n'est ici que le bien de mes concitoyens que je cherche, ainsi que leur tranquillité.

A Bord* ce 28 ventose l'an 3eme de la République

Richard approuvant l'écriture ci-dessus

La bombe était amorcée et ces histoires rocambolesques entraient dans l'histoire blis-et-bornaise, mais attendez braves gens, vous ne savez pas encore tout... Laissons répondre ce coquin de Prouillac aux accusations de Pierre Richard avant d'analyser ces premiers documents d'archive. Avant cela, il faut quand même préciser que Pierre Prouillac, commandant de la garde nationale*, et le nommé François Tocheport, capitaine de la même garde, avaient déjà été dénoncés à Périgueux par un Blis-et-Bornais nommé Pierre Bost du Repaire, qui se plaignait, le 20 septembre 1791, d’avoir été menacé d’être pendu sur leur ordre, après qu’ils eurent fait sonner le tocsin et battre le tambour (Archives départementales de la Dordogne : 1 L 158).

Le 11 germinal an III de la République française (le 31 mars 1795), le citoyen Prouillac, maire de la commune de Blis de Bord*, se présentait en séance du Directoire du district de Périgueux, en vertu d'un arrêté de l'administration du 6 germinal, qui le mandait pour répondre sur les faits mentionnés dans la dénonciation faite contre lui au Représentant du peuple Chauvier, par le citoyen Richard :

Question : Quel est ton nom, ton âge et ta qualité ?
Réponse : Je m'appelle Pierre Prouillac, je suis âgé d'environ 46 ans et je suis maire de la commune de Blis de Bord*.

Q : Est-ce que lorsque tu étais agent national* de Blis de Bord* tu n'avais pas soustrait les affiches qui devaient se faire pour la vente des fonds dépendants du prieuré de la dite commune, dans l'objet d'écarter les enchérisseurs ?
R : Je n'ai point distrait les affiches de leur destination ; elles furent remises par le secrétaire du district au secrétaire de la municipalité en ma présence, et ce dernier les fit en la manière accoutumée.

Q : N'est-il pas vrai qu'aucun citoyen de la commune de Blis de Bord*, exceptés Teyssiéras, officier municipal, et Duradieu (ou Duroudier), mendiant, ne se présenta pour enchérir et que tu profitas de la circonstance pour acheter à bas prix les objets à vendre, provenant du prieuré ?
R : Ces deux individus ne furent pas les seuls qui se présentèrent, il en vint beaucoup d'autres de cette même commune, mais je ne me rappelle plus qui ils sont. A la vérité, le fond dont il s'agit me fut adjugé comme plus offrant et dernier enchérisseur.

Q : Peu de jour après la vente aux enchères, n'as-tu pas revendu le même fond sous un gros bénéfice ?
R : J'ai cédé gratuitement à Savignac de la dite commune par subrogation* devant Lagrange, notaire.

Q : N'as-tu pas désarmé plusieurs particuliers de Blis de Bord*, et n'as-tu pas tourné leurs armes à ton profit ?
R : Non.

Q : Dans le cours de janvier dernier, ne t'ais-tu pas rendu, accompagné de huit personnes du nombre desquelles était Teyssiéras (officier municipal et ton collègue), chez le citoyen Pierre Richard, ne l'avez-vous pas fait lever et ne l'avez-vous pas engagé à vous faire boire et manger ? Y ayant accédé, n'avez-vous pas passé la nuit à boire et à chanter malgré qu'il y avait deux malades dans la maison ?
R : Je suis allé à différentes reprises chez le dit Richard, tantôt seul, tantôt en compagnie. J'y ai bu et mangé de gré à gré, mais je ne me rappelle pas d'y avoir été positivement à cette époque et accompagné du dit Teyssiéras et autres.

Q : Ne fais-tu pas habituellement des menaces à divers particuliers de la commune de Blis de Bord*, ne les épouvantes-tu pas au point qu'ils ne se croient pas en sûreté chez eux ?
R : Non.

Q : N'est-il pas vrai, qu'accompagné de plusieurs individus, tu ne t'ais pas transporté chez le citoyen Lachaud ? Celui-ci ayant fermé sa porte, ne l'avez-vous pas enfoncé ? Ensuite n'avez-vous pas conduit le dit Lachaud chez Savignac (cabaretier et officier municipal), où vous vous êtes fait donner à boire et à manger aux dépens du dit Lachaud ? Ne lui avez-vous pas fait essuyer plusieurs menaces en le contraignant à se mettre à genoux ?
R : La fille du dit Lachaud s'étant plaint auprès de la municipalité que son père battait sa mère, la municipalité dépêcha un piquet de garde nationale*, qui, accompagné du citoyen Albert (officier municipal), se rendit chez Lachaud pour y mettre de l'ordre ; j'étais moi-même de ce piquet en ma qualité de commandant. En arrivant chez Lachaud, celui-ci sortit, sa femme se renferma dans la maison et lui s'en fut chez Savignac où se rendit tout le piquet de la garde nationale*.

Q : Qu'avez-vous fait chez Savignac ?
R : Nous nous sommes mis à boire chacun de notre côté.

Q : N'y avez-vous pas rencontré le dit Lachaud et n'avez-vous pas bu avec lui ?
R : Nous nous y sommes rencontrés en effet, mais il ne but pas avec nous.

Q : Qui paya la dépense ?
R : J'ai payé de mon côté pour moi et deux ou trois autres, et j'ignore qui paya le reste.

Q : N'avez-vous pas fait mettre le dit Lachaud à genoux et ne lui avez-vous pas fait des menaces ?
R : Non, mais je me suis borné à des exhortations amicales.

Q : N'avez-vous pas, toi et ceux de ta suite, fait arrêter le citoyen Roche, et ne l'avez-vous pas conduit au cabaret où vous l'avez gardé toute la journée en le forçant à vous faire boire et manger, sous prétexte qu'il avait vendu du bled sans votre permission ?
R : Non.

Après lecture qui lui avait été faite de cet interrogatoire et des réponses données, Pierre Prouillac répondit que " icelle* contenait vérité ".

Avant d'aller plus loin dans ces actions romanesques et de connaître les autres méfaits de Prouillac et sa bande (et vous n'allez pas être déçu...), analysons ces deux premiers documents :

Premièrement, qui était ce Pierre Prouillac ?

Né aux Golferies le 26 février 1746 ou le 11 mars 1749 (nous avions dans cette première moitié du XVIIIe siècle, dans la même famille Prouillac des Golferies, deux enfants portant le prénom de Pierre), son père était Jean Prouillac, sa mère Jeanne Chartroulle et son épouse Marie Gautier. D'une assurance certaine du haut de ses 5 pieds 2 pouces (environ 1,70 m), cheveux châtains et face ovale, il était dès 1791 commandant de cette milice que l'on appelle " la garde nationale* ", après avoir été simple agent de cette même garde à partir de 1790. Il fut élu ensuite maire de la commune de Blis-et-Born, fonction qu'il occupait encore ce mois de germinal de l'an III. Ce " traîneur de sabre " profita de sa charge d'homme d'arme, et certainement aussi de " la grande paou* " de l'été 1789, pour lancer sa longue série de méfaits. Contrairement à ce qu'on pensait, les brigands ne venaient pas d'ailleurs, ils étaient surtout issus du terroir.
Maintenant, venons-en aux faits reprochés :

 

1° La vente des biens du presbytaire

Il y avait en 1789 une grave crise des finances publiques et les caisses étaient vides quand l'évêque d'Autun, Charles Maurice de Talleyrand, proposa d'attribuer à l'Etat tous les biens du clergé. Après l'intervention fameuse de Mirabeau (" La banqueroute, la hideuse banqueroute est là... et vous délibérez "), l'Assemblée vota - le 2 novembre de la même année - la mise à la disposition de l'Etat des biens du clergé. Le 7 novembre, l'Assemblée mit ces biens, devenus nationaux, sous la sauvegarde des autorités administratives locales, et le 17 mars 1790, elle décida que les municipalités s'occuperaient de leur mise en vente, décidée le 19 décembre 1789. Cette mise en vente aux enchères fut définitivement décrétée par l'Assemblée le 14 mai 1790. En mettant en vente les biens mis à la disposition de la Nation aux dépens du clergé, puis des émigrés (biens dits " de deuxième origine " dont la vente fut décidée le 27 juillet 1792), les révolutionnaires provoquèrent un gigantesque transfert de propriété territoriale ; ils permirent ainsi des opérations monétaires qui bouleversèrent les fortunes mobilières des privilégiés d'avant 1789. Mais en ce qui concernait les anciens biens du clergé, il ne s'agissait pas d'une confiscation pure et simple, car la loi imposait en même temps à l'Etat de pourvoir aux frais du culte, à l'entretien des curés et à la charité publique, c'est-à-dire aux trois affectations traditionnelles originelles des revenus ecclésiastiques (Web, Yahoo : Encyclopédie - les biens nationaux).

Voyons ce que nous apprenons des archives notariales et des témoins quant à cette vente d'une partie des biens du prieur de Born ; je reprends ici en le complétant, ce que je vous ai déjà raconté à ce sujet dans le second fascicule des " Etudes Historiques sur Blis-et-Born ", concernant " l'histoire du prieuré Sainte Catherine de Born " :

Une première partie des biens du Prieur à Born fut vendue aux enchères par le District de Périgueux le 29 décembre 1792, comme " Bien National de première origine ". Voici le texte du document de vente (Archives du Périgord, cote MOD O Q 935, p.36) :

" Le vingt-neuf décembre mil sept cent quatre-vingt douze, l'an premier de la République à deux heure de l'après-midi, le citoyen sieur syndic du district de Périgueux assisté des administrateurs a fait procéder à la vente d'une grange (correspondant actuellement au restaurant), d'une pièce de terre, pré et vigne. Le tout situé au Bourg de Blis de Born. Le tout estimé la somme de (aucune indication de chiffre sur l'acte mais espace blanc en prévision de son inscription ultérieure). Mais d'autant que le jardin du curé est insuffisant il sera distrait de la vente le terrain nécessaire et le mieux à portée de linage* dudit curé, pour compléter ledit jardin jusqu'à la concurrence d'un demi arpents* conformément à ce que prescrit le décret :
Cette vente fut annoncée pour ce jourd'hui par affiches ainsi que la justifié le sieur sindic et le citoyen sieur sindic de la commune de Blis de born (il s'agit de Pierre Prouilhac).

Indépendamment du prix de la vente l'adjudicataire sera tenu de rembourser au curé actuel (il s'agit de Pierre Pastoureau) le montant d'une partie de l'enclos qu'il avoit acquis. Vente qui ne pouvoit être faite à luy attendu qu'il étoit assugetti à la main morte* comme etant Chanoine regulier et d'un ordre de moine auxquel il etoit prohibé d'acheter. Mais le sieur sindic ayant representé que le fond acquis par ledit curé ne pouvait être vendu, qu'au contraire l'acquéreur n'ayant caractere pour acheter, le vendeur pourroit rentrer dans son fond en remboursant le prix sur quoy le directoire ayant délibéré, a arreté que les fonds seulement de la cure cy dessus désignés seront aliénés distraction* faite du terrein reservé pour completter le jardin, et distraction* faite egalement du terrein acquis par ledit curé.

La grange à vendre confronte au cimetiere, et l'entrée actuelle sera murée. L'adjudicataire pratiquera une ouverture au nord et contre le chemin qui conduit du bourg à Cujac, c'est ainsi que les limites et les confrontation ont été designées par le sieur sindic de la commune dudit Born. Les crier* étant faites lesdits fonds à vendre ont été portés par le citoyen Jean Lamy de cette ville (Périgueux) à 1 300 livres*.

1ere bougie*
Pendant la première bougie*
Par Jean Texerau à 1 310 livres*
Par Lamy à 1 320 livres*

2° bougie*
Il a eté allumé un second feu
pendant lequel le citoyen Proulha la porté à 1 400 livres*
Par Lamy à 1 410 livres*
Par Texerau à 1 415 livres*
Par Lamy à 1 420 livres*

3° feu
Pendant le troisième feu par
Le citoyen Valette de Tournepiche à 1 430 livres*

4° feu
Pendant le quatrieme feu porté par
Proulhac à 1 440 livres*
Par Lamy à 1 450 livres*
Par Proulhac à 1 460 livres*

5° feu
Pendant le cinquième feu par
Lamy à 1 470 livres*
Par Valette à 1 500 livres*
Par Lamy à 1 510 livres*
Par Proulhac à 1 520 livres*

6° feu
Pendant le sixième feu
Porté par Lamy à 1 530 livres*

7° feu
Pendant le septième feu porté
Par Proulhac à 1 550 livres*

8° feu

Pendant le huitième feu ny ayant de sur enchère l'adjudication est faite au citoyen Pierre Proulhac sieur sindic de la commune de Blis de Born habitant au lieu de La Golferias paroisse dudit Born moyennant la somme de quinze cent cinquante livres* sur laquelle il sera payé dans quinzaine pour premier acompte celle de cent quatre-vingt six livres* et le restant dans douze ans en douze pactes égaux avec interet dont et du tout acte fait et dressé le présent procès verbal en présence du citoyen Jean Texeras officier municipal et commissaire délégué dudit Born qui a signé avec l'adjudicataire le sieur sindic, les administrateurs et le secrétaire.

Proulhiats Teysseyract Bruneaud
Laterriere Sudrie
Jean-Baptiste Gille " (Secrétaire)

Pierre Cluzeaux, administrateur du Conseil de district de Périgueux et nommé commissaire par ce même district pour enquêter à Blis-et-Born, convoqua à la " Maison commune " (Mairie de l'époque), le 20 germinal an III (9 avril 1795), sept Blis-et-Bornais. Cette première enquête était destinée à éclairer le juge sur les accusations de Pierre Richard et sur les réponses données par Pierre Prouillac. Les sept témoins convoqués (Elie Bussière de Chignaguet, Eymard Audy du Petit Blanzac, Grégoire Lacoste de La Jaye, Jean Petit de La Forêt, Pierre Lachaud de Born, Jean Desplat de Pommier et François Tocheport des Marguis) confirmèrent les accusations de Pierre Richard contre Pierre Prouillac, en donnant parfois quelques détails savoureux, et, qui plus est, en les complétant par d'autres accusations. Cette enquête entraîna la suspension de Pierre Prouillac en tant que Maire de Blis-et-Born. Pour compléter l'enquête de Pierre Cluzeaux, François Victor Dauriac, alors juge de paix et officier de police du canton d'Antonne (pendant la Révolution, Blis-et-Born dépendait du canton d'Antonne) convoqua les 7 et 10 messidor (les 25 et 28 juin) dix-neuf habitants de Blis-et-Born et des alentours. Ces dix-neuf nouveaux témoins étaient : de nouveau Pierre Lachaud de Born et Jean Desplat de Pommier, déjà interrogés par Pierre Cluzeaux le 20 germinal, Jean Daudou des Genets, Jacques Bonhomme fils de La Coutie, Léonard Couder de La Lucie, Jean Chancel seigneur de La Chaloupie (Eyliac), Marc et Pierre Goursat de La Boudinie (Eyliac), Raymond Lasaigne des Chabannes, Guillaume Lavaux de La Lucie, Léonard Lachaud du Change, Gérome Cornu des Courtis, Pierre Audy de La Coutie, Pierre et Sicaire Reynier de Blis, Antoine Gautier du Defaix, Pierre Bost de La Coutie, François Bonhomme de Chignaguet, enfin Jean Vidal également de Chignaguet. Avec force détails, tous rapportèrent que le dit Prouilhac (alors syndic de Blis-et-Born) avait ordonné à Jean Couret (dit " l'agrafeur "), greffier et secrétaire de la municipalité, de n'apposer l'affiche devant annoncer la prochaine vente aux enchères des dits biens du presbytère, sur la porte de l'église, que lorsque la messe serait commencée et de la retirer avant la fin du dernier évangile. D'autre part, par précaution, celle-ci fut placée sous les décrets. Ainsi, la population de Blis-et-Born, assistant à la messe, ne pouvait être informée de la dite vente et donc y participer. Guillaume Lavaux, rapporta que Pierre Prouilhac lui avait demandé de " venir faire l'enchère " sans monter au-delà de 1 400 livres*. On raconta même que Jean Couret aurait obtenu, pour sa participation à cet acte de prévarication, une paire de souliers offerte par Pierre Prouilhac. Effectivement, Bernard Beneix d'Eyliac ayant acheté une paire de souliers qui lui était trop petite, il les revendit à Jean Couret qui sollicita Pierre Prouillac pour lui faire l'avance de 8 livres* pour cet achat. Ce dernier paya directement Bernard Beneix.

Si effectivement les affiches n'avaient pas été correctement placées sur la porte de l'église, comme l'avoua Jean Couret, ni Guillaume Lavaux, ni Duradieu n'apparaissent sur l'acte de vente présenté plus haut. D'autre part, au sujet de la revente des biens par Pierre Prouillac à Jean Savignac, un acte notarié devant Maître Jean-Baptiste Gilles-Lagrange de Périgueux (Archives du Périgord, cote NO 3 E 2731), nous apprend que la revente des dits biens si frauduleusement acquis, fut effectivement faite par subrogation*, le 11 janvier 1793, à la charge à l'acheteur de payer les 1 550 livres* que devait le vendeur, au receveur du District de Périgueux. Entre temps, Jean Savignac avait fait couper les charmilles qui bordaient une allée du presbytère.

Il s'ensuivit de cette affaire, que Jean Couret fut emprisonné le 23 messidor an III de la République (11 juillet 1795), jugé et condamné le 14 thermidor de la même année (1er août). Pierre Prouilhac fut également condamné pour ces faits et bien d'autres que je vais vous détailler ci-après. Il aurait été emprisonné également s'il ne s'était sauvé avant l'arrivée de la maréchaussée, chez lui à " Las Golfarias ", le 15 messidor an III de la République (3 juillet 1795), à 7 heures du matin, puis le 30 messidor de la même année (18 juillet) et enfin le 10 fructidore (27 août). Chambre, grenier, cave, grange, grenier à foin et toutes les dépendances de la maison de Prouillac furent fouillés ces jours-là par les gendarmes de Bassillac ; le 10 fructidore, l'huissier du tribunal criminel (Sicaire Pradeau) étant présent, lecture fut faite " à haute et intelligible voix ", après le son du tambour, de l'ordonnance de prise de corps de Prouillac, devant la porte de l'église, au moment de la sortie de la messe. A chaque fois, pas de Pierre Prouillac, seulement sa femme. Cette dernière n'avait pas vu son mari depuis un mois et ne savait pas ce qu'il était devenu, ce qui fut confirmé par les voisins interrogés. On apprendra quelques jours plus tard que Pierre Prouillac fut vu au château de Vaudre à Gabillou. Pierre Prouilhac avait alors environ 46 ans au moment de la révélation des faits et il décéda 13 ans après, le 7 juillet 1808, dans sa maison des Golferies, mais le régime n’était plus le même, le pays était alors sous le 1er Empire et tout le monde s'efforça d'oublier. Quant à Jean Couret, il décéda presque un an après Pierre Prouilhac, le 4 juin 1809, également à Blis-et-Born.

 


La maison de Pierre Prouillac aux Golferies

 

2° Le désarmement abusif de plusieurs Blis-et-Bornais

Lorsqu'il était agent de la garde nationale* de Blis-et-Born, en particulier lorsqu'il eut la charge de la commander, Pierre Prouillac, abusa de ses pouvoirs en désarmant injustement plusieurs habitants de la commune dont il avait la garde, évidemment ceux qu'il n'aimait pas. Ainsi, 1 fusil et 1 pistolet furent pris à Gabriel des Mournaux, 2 fusils et 1 pistolet à Jean Berger, 2 fusils et 1 sabre à un certain Bayli de La Richardie, 1 fusil à Richard de La Richardie, 1 fusil à Pierre Lachaud, 2 fusils et 1 pistolet à Jean Desplat, 3 fusils à Jean Petit, 1 fusil, 1 pistolet et 1 sabre à Pierre Bost, enfin, 1 fusil à Gabriel Dulac. Il fit usage de ces armes pour lui-même, il vendit même, à son frère, le fusil de Pierre Lachaud et endommagea l'un de ceux de Jean Desplat et celui de Pierre Lachaud. François Tocheport lui-même, lorsqu'il commandait la garde nationale* en 1792, avait également désarmé certains citoyens. Il vendit même le sabre de Pierre Bost.

 


Fusil à silex du XVIIIe siècle (Encyclopédie Diderot et d’Alembert)



 


Sabre utilisé pendant la Révolution par la garde nationale



On ne peut pas dire que tous les citoyens se laissèrent désarmer sans réagir, ainsi, au cours de l'été de 1792, François Tocheport, fit poser le drapeau sur l'auberge de Jean Savignac (alors élu maire de la commune), il demanda alors à Jean Petit, présent, de lui remettre son fusil. Jean Petit ayant refusé, Pierre Prouillac saisit le fusil par le canon et il s'ensuivit une joyeuse bagarre ; la garde nationale* prit le fusil de force. Trois semaines après, un autre fusil fut pris au domicile de Jean Petit à La Forêt, par cinq grenadiers de la même garde nationale* et toujours sur ordre de François Tocheport. Un an après, Pierre Prouillac, devenu commandant de la garde nationale*, accompagné d'au moins 30 fusiliers dont Antoine Teyssiéras - alors officier municipal - confisqua le fusil que le fils de Jean Petit venait d'acheter.

Avec l'aide de la gendarmerie, alors de passage à Blis-et-Born, Pierre Lachaud, notable de la commune, put récupérer son fusil que Prouillac avait pourtant vendu à son frère. Par contre, Pierre Bost ne récupéra pas son sabre que François Tocheport avait vendu.

Il n'a jamais été question de désarmer la population paysanne pendant ces années révolutionnaires. Bien au contraire, la chasse leur étant enfin autorisée, contrairement à l'époque de l'Ancien Régime* où le droit de chasse était un droit personnel réservé au seigneur haut-justicier dans l'étendue de sa haute justice et à chaque seigneur sur son fief, et interdit à tout autre, sous des peines sévères. Non, ces actes de désarmement de la part de Pierre Prouillac et de sa bande de la garde nationale* n'étaient qu'arbitraires, leur mandat était de faire respecter les lois - en particulier sur le recouvrement des impôts -, de garantir la sûreté des personnes et des propriétés ; quant au désarmement, il ne devait concerner que les suspects...

 


Gendarme pendant la Révolution

 

3° Des actes de banditisme à répétition sur quelques Blis-et-Bornais

Les pires actes de banditisme perpétrés par Pierre Prouillac et sa bande concernaient l'acharnement qu'ils mettaient à humilier quelques Blis et-Bornais comme les citoyens Richard, Lachaud, Roche, Loubiat...

Pierre Prouillac, accompagné d'Antoine Teyssiéras et de sept autres gardes nationaux, se rendit vers 20 ou 21 h en janvier 1795, un jour de réunion de la municipalité, chez Pierre Richard à Chignaguet. Ce dernier étant couché, ils le firent lever pour se faire offrir à boire et à manger une soupe, ainsi qu'à toute la troupe. Ils burent, mangèrent et chantèrent pratiquement toute la nuit, sans aucun égard pour madame Richard et son fils qui étaient alors malades.

Un autre soir, le jour de la Saint Jean de 1792, Pierre Prouillac alla, tambour battant, à la tête de six gardes armés (un acte parle de quarante gardes armés présents ce jour-là chez Lachaud : je dois dire que j'en doute un peu), chez Pierre Lachaud de Born. Ayant trouvé la porte de la maison fermée à clé, il fit chercher une barre de fer à l'auberge de Savignac pour l'ouvrir de force. Le temps qu'un membre de la troupe se rendait chez Jean Savignac, Prouillac fit cerner la maison par la troupe avec ordre de tirer sur Pierre Lachaud s'il essayait de passer par la fenêtre. La barre de fer arrivée (il s'agissait d'un " ringard ", cette tige cylindrique de fer aplatie, pliée à angle droit à une extrémité et destinée à attiser le feu), la porte fut ouverte par un grenadier et Pierre Lachaud, qui était au lit, fut saisi et forcé, malgré sa résistance, d'accompagner la troupe à l'auberge (on apprend ici, dans un acte, que la troupe dut " monter " pour aller chercher Lacahaud après avoir forcé la porte d'entrée : cela laisse donc supposer que la maison de Lachaud à Born était une maison à étage). Avant d'entrer chez Savignac, au niveau de la grange de ce dernier, Prouillac détacha les cordes du tambour et fit croire au pauvre Lachaud qu'elles étaient destinées à le pendre. Au même moment, Prouillac fit mettre Lachaud tout tremblant à genoux en le traitant de gueux et en le forçant à demander pardon, en lui portant un sabre au bas-ventre et à la gorge parce qu'il refusait d'obtempérer en disant " qu'il n'avait jamais dit pardon à personne ". On le fit ensuite entrer à l'auberge et après avoir bu et mangé, on lui fit payer la dépense de 13 livres (Lachaud n'ayant alors pas d'argent, la femme de Savignac dut lui faire crédit en attendant que son blé fût mûr et qu'il puisse payer la note). Les ennuis de ce pauvre Pierre Lachaud ne s'arrêtèrent pas là puisque peu de temps après, au crépuscule, Prouillac à la tête de sept à huit gardes, l'ayant rencontré à l'auberge de Savignac, le força à les conduire chez lui sous prétexte qu'il détenait un livre de magie. N'ayant trouvé aucun livre de magie dans le cabinet de Lachaud, Prouillac confisqua un livre d'agriculture qu'il avait parmi d'autres. Il l'emmena de nouveau à l'auberge et là, il sortit deux pistolets de sa poche en le menaçant de le tuer et en l'injuriant. L'un des agents de la troupe le força néanmoins à remettre ses pistolets dans sa poche. Que cela ne tienne, Prouillac brandit son sabre et l'aurait enfoncé dans le ventre de Lachaud si Antoine Teyssiéras ne lui avait retenu le bras et ne lui avait arraché l'arme des mains. Enfin, un autre jour, Prouillac, toujours à la tête de sa troupe, passant devant la porte de Lachaud à Born, le menaça de le conduire en prison...

L’auberge Savignac à Born (tableau de Paulette Courteix)

Le citoyen Loubiat, membre du Conseil municipal (mais aussi laboureur " qui n'avait jamais eu d'autres profession que celle de labourer son champ et bêcher sa vigne "), ne se rendant pas à la maison commune (mairie) suffisamment au gré de Prouillac, celui-ci se rendit chez lui avec sa troupe quelque peu avinée, un jour de dimanche en 1790 (un acte parle du jour de la Saint Pierre, un autre du jour de la Saint Jean). Comme le lui conseillait son beau-frère (Jean Berger) Jacques Loubiat les fit boire pour les calmer et, de fait, ils repartirent pour aller chez Gautier au Defeix, après avoir laissé une barrique ouverte pour que le vin s'écoulât sur le sol et ainsi se perdît. Cependant, Loubiat étant allé les rejoindre chez Gautier pour se plaindre que la troupe lui avait mis son vin par terre, la troupe revint immédiatement et fit charger la barrique presque pleine sur la charrette de Loubiat puis la fit conduire par son domestique dans l'allée du presbytère, à l'aide de deux bœufs. De là, après l'avoir vidée à moitié, ils la firent rouler dans la cave du prieur de Born. Pour la petite histoire, le prieur fut contraint de fournir le pain pour éponger le vin. Le dimanche suivant, Prouillac et Savignac montèrent en chaire à l'église et Prouillac exhorta les grenadiers de sa troupe à ne plus boire et à rendre la barrique à Loubiat, dans l'état où elle était. Cependant, il ne fut pas écouté et, sur ordre de François Tocheport, la barrique ne fut rendue qu'une fois vidée...

 


Entrée de la cave du curé de Born


Le citoyen Roche avait, lui aussi, été retenu chez le cabaretier Jean Savignac, mais pour lui, l'humiliation dura toute une journée et, qui plus est, un jour de fête et de marché. Détenu arbitrairement par deux gardes nationaux, dans la chambre-haute de l'auberge, il dut payer à boire et à manger à ses geôliers.

Prouillac envoya le citoyen Chaville avec bœufs et charrette couper de la litière dans les bois du Defeix, sans que le citoyen Gautier pu s'y opposer par crainte de Prouillac.

En 1790, Prouillac prit un tronc de châtaignier dans les bois d'Elie Bussière de Chignaguet. Ce dernier lui en ayant fait la remarque, Prouillac lui remit 24 sols, ce qui était loin d'être suffisant.

Prouillac emprunta un coin de fer à Jean Daudou, métayer du citoyen de Glanes père, pour fendre du bois. Pour le récupérer, il fallut lui remettre 24 sols sous prétexte que de Glane les lui devait, ce qui, d'après ce dernier, était faux.

 

4° Des brigands de grands chemins

Le 14 octobre 1790, ayant appris que Jean de Chancel, seigneur de La Chaloupie (Eyliac), Marc Goursat de La Boudinie (Eyliac) et son fils Pierre chassaient dans les taillis de Lardimalie, Pierre Prouillac assembla la garde nationale* de Blis-et-Born et à la tête d'une trentaine d'hommes armés, dont le tambour-major, alla les attendre sur le chemin de leur retour (vers Le Jalagier), après que le soleil fut couché. Le seigneur de La Chaloupie fut le premier à se présenter. Il fut entouré par la troupe et le tambour-major prit la bride de son cheval en lui demandant de l'argent. " A quel titre me demandez-vous de l'argent ? " demanda de Chancel : le tambour répondit " qu'il en voulait à quelque titre que ce fut ". De Chancel s'adressant à Prouillac lui dit " comment il souffrait qu'on le mît à contribution à cette heure-là et sur le bord d'une forêt " se vit répondre par ce dernier " qu'il ne se mêlait pas de cela, et que c'était déjà bien qu'il eut empêché sa troupe de faire feu comme elle voulait le faire ". Le seigneur de La Chaloupie voyant le risque qu'il encourait, retourna ses poches pour bien montrer qu'il n'avait pas d'argent. Le tambour persistant lui dit alors qu'il ne lui semblait pas possible qu'un homme comme lui n'ait pas d'argent dans ses poches. De Chancel lui répondit qu'il n'en avait jamais quand il était à la chasse. Sur ce, pour ne pas perdre la face le tambour exigea que de Chancel lui remît le lièvre qu'il avait à l'arçon de sa selle. De Chancel s'adressa de nouveau à Prouillac en lui demandant " comment il pouvait souffrir qu'il fût ainsi vexé " et Prouillac lui répondit qu'il ne répondait pas de ce qui pouvait arriver s'il ne s'exécutait pas à donner le lièvre, qu'il y avait assez longtemps qu'il contenait sa troupe. De Chancel remit le lièvre qui fut porté et mangé aux Golferies, chez Prouillac.

Après que Prouillac et sa troupe eurent quitté le malheureux seigneur de La Chaloupie, ils s'empressèrent de rejoindre Marc et Pierre Goursat de La Boudinie qui savaient qu'ils allaient venir. En effet, Marc Goursat de La Boudinie ayant entendu battre le tambour, il en demanda la raison à Jean Savignac (alors maire de la commune) qui ramassait alors du " blé d'Espagne* " dans les environs. Ce dernier n'ayant pu répondre pour la raison qu'il ne le savait pas, le fils de La Boudinie alla s'informer et apprit qu'ils étaient attendus par la troupe sur un chemin... Marc de La Boudinie s'adressa à Prouillac pour lui demander ce qu'il voulait. Celui-ci, armé d'un sabre et d'un bâton, lui répondit qu'il voulait savoir s'il avait beaucoup de gibier. De La Boudinie père lui répondit " qu'il devait lui être fort indifférent qu'il en portât ou qu'il n'en portât pas ". Comme la troupe se rapprochait de plus en plus de lui, il demanda à Prouillac de la faire arrêter et celui-ci lui répondit que ceux qui étaient avec lui voulaient de quoi boire. Marc de La Boudinie répondit qu'il ne croyait pas leur en devoir et Prouillac lui expliqua qu'il ferait bien de leur en donner, sans quoi il n'aurait pas de si tôt terminé avec eux. Cependant, comme dans cet instant de Chancel avait entendu que de La Boudinie père et fils étaient aux prises avec la troupe et qu'il avait accouru à leur secours, il leur répéta ce qu'il leur avait dit quelques instants plus tôt, c'est-à-dire qu'il ne leur était pas possible de leur donner de l'argent puisqu'ils n'en avaient pas sur eux en allant à la chasse. La troupe se retira mais n'eut pas fait cent pas qu'elle revint pour tuer les chiens si on ne lui donnait pas de l'argent. Le tambour-major prit alors le fusil de l'un de ses compagnons et fit mine de vouloir tirer sur les chiens. Seulement, le fils de La Boudinie qui avait, lui, un fusil à deux coups, le tourna vers le tambour et put ainsi s'imposer. La troupe se retira alors sans coup de feu mais en vociférant qu'elle les reverrait bien une autre fois...

En effet, en 1793, au moment du partage des grains dans la métairie des Guérols (qui aujourd'hui porte un autre nom et qui est la ferme de Gilbert Lamy), appartenant à Antoine Gautier du Defeix beau-père de Pierre Goursat de La Boudinie, le métayer refusa la rente convenue. Pierre Goursat de La Boudinie proposa alors de s'en rapporter à la décision de la municipalité, sur quoi ils allèrent chez Pierre Prouillac alors agent national*. Ce dernier confirma au métayer que la loi l'y obligeait ; cependant, le métayer ayant persisté dans son refus, Pierre Goursat de La Boudinie demanda des moyens pour le forcer à payer, Prouillac lui répondit que s'il fournissait des moyens ce serait pour le métayer et non pour le maître. Ayant convenu finalement que le grain mesuré serait déposé dans le " garde pile* " jusqu'à une décision définitive, de La Boudinie exhorta le métayer à aller demander l'avis de la municipalité et de le lui porter par écrit, le lendemain à 8 heures aux Defeix. Le lendemain, le métayer ne se présenta pas et s'étant mis en chemin pour s'en aller, de La Boudinie vit arriver au loin des gens armés qui s'approchaient des Defeix. Ne sachant de quoi il s'agissait, il prit la sage décision de les éviter. En revenant plus tard aux Defeix, sa belle-sœur lui annonça que Prouillac l'avait demandé et avait fait fouiller la maison pour le trouver. Dans la même journée, le métayer lui demanda la clé du " garde pile* " avec des menaces. Il faut ajouter pour être un peu plus complet sur les problèmes du partage des grains entre le " colon* " et le " maître ", que depuis 1791, c’est-à-dire depuis que la dîme avait été décrétée au bénéfice du propriétaire, une grande révolte des métayers se généralisa en Périgord. Les gardes nationaux des villages, élus par la population en majorité paysanne, se rangèrent plutôt du côté de leurs électeurs et les défendirent. Il faut ajouter le prélèvement fait sur " la pile " par le maître, prélèvement que l'on appellait " la rêve " ou " le droit de pile ", qui était à l'origine destiné à payer la rente au seigneur et dont les propriétaires profitaient sans aucune vergogne. Ce conflit entre le " maître " et le " colon* " concernant le partage - non équilibré - des grains de la métairie des Guérols, est probablement dans la même veine que ceux qui ont abouti aux révoltes de 1791 (voir à ce sujet l'article d’Hubert Delpont dans " Mémoire de la Dordogne " n°15, la revue des Services du Patrimoine départemental de la Dordogne).

 

5° Spectacle au cimetière, jour d'enterrement

Pierre Prouillac ne s'est pas borné à vexer les vivants, il a exercé également ses fureurs sur les morts. Ainsi, lors de l'enterrement de Guillaume Lagorce le 26 avril 1791, il rassembla sa troupe pour se rendre au cimetière (le cimetière de l'époque se trouvait devant l'église, au niveau de l'actuel monument aux morts).

 


Emplacement de l’ancien cimetière de Born et lieu l’enterrement de Guillaume Lagorce le 26 avril 1791

Arrivé sur place, fâché d'apprendre que le mort était déjà enterré, alors qu'il voulait lui couper la tête et la donner en spectacle aux personnes présentes, Prouillac vociféra mille injures les plus atroces sur la tombe du mort qu'il fit entourer par sa troupe. Il fit ensuite faire un mannequin en paille à l'effigie du défunt. Une fois fait, plusieurs décharges de mousqueterie furent envoyées contre le mannequin et Prouillac lui coupa la tête en criant " victoire ". Enfin le mannequin, en pièce, fut brûlé et tous ceux qui étaient venus aux funérailles de ce pauvre Lagorce furent obligés de danser autour du bûcher, au son de la musique. Cette triste cérémonie fut un véritable jour de fête pour Prouillac.

Il résulte de tous ces faits, que Prouillac utilisa bien mal la garde nationale* dont il avait le commandement ; qu'il lui fit faire bien de mauvaises démarches en perpétrant des actes arbitraires et en abusant de son autorité ; qu'il offensa bien des particuliers qui avaient eu le malheur de lui déplaire, et qu'il inspira la terreur dans la commune de Blis-et-Born qu'il était censé protéger.

Tous les jurés présents au tribunal le jour du procès, le 6 thermidor an III (24 juillet 1795) dirent qu'il y avait lieu à accusation, tant contre Pierre Prouillac que contre Jean Couret. Cependant, si ce pauvre Couret purgea des mois de prison (il s'était d'ailleurs présenté de lui-même à la porte de la prison de Périgueux), ce coquin de Prouillac, lui, ne fut jamais arrêté, malgré les perquisitions faites par la gendarmerie à son domicile.

 

Qui sont les Blis-et-Bornais cités dans ce procès en dehors de Pierre Richard et de Pierre Prouillac ?

Qui était l'officier municipal Albert ? Il y avait une famille Albert à Lacaud, mais aussi une autre aux Mournaud. Je ne sais de quel Albert, il est question.

Pierre Audy est né à Born le 28 janvier 1740, de Pierre Audy et de Pétronille Loubiat. En l'an III de la République, il était laboureur, était âgé de 55 ans et demeurait à La Coutie.

Eymard Audy né aux Sabloux, de Pierre Audy et Pétronille Loubiat. Il se maria le 30 novembre 1769 avec Anne Planterie de La Margoutie. Cultivateur au Petit Blanzac, il y décéda le 20 février 1816.

François Bonhomme était laboureur à Chignaguet. Fils de Léonard Bonhomme et de Gabrielle Mignot, il naquit le 11 octobre 1744 à Las Grangeas (La Grange). Marié le 28 janvier 1772 avec Hélène Pradelou de Chiniaguet, il fut métayer au Césareau. Il décéda le 15 fructidore an V (22 août 1797) aux Guérols.

Jacques Bonhomme avait 19 ans en l'an III de la République et il habitait à La Coutie. Il était né aux Defeix le 3 novembre 1775 de François Bonhomme et d'Hélène Pradelou.

Pierre Bost dit " du Repaire " de La Coutie semble avoir fait partie de l'assemblé de la municipalité de Blis-et-Born avant l'an III de la République. Fils de François Bost et de Demoiselle Rougier, il se maria le 19 août 1788 avec Françoise de la Salle de La Faurie. C'est à partir de ce mariage que le repaire noble de La Faurie passa des de la Salle aux Bost du Repaire. Pierre Bost du Repaire mourut à l'âge de 72 ans, le 6 octobre 1832.

Elie Bussière était originaire de Linagel. Né en mars 1755, son père Henri était d'Eyliac et sa mère, Jeanne Bonnet, de Chignaguet. Cultivateur à Chignaguet, il y mourut le 9 nivose an XII.

Jean Chancel seigneur de La Chaloupie (Eyliac) avait 60 ans en cette année III de la République. Seigneur d'Eyliac et autres lieux, servant dans la compagnie des Mousquetaires du roi, il se maria en 1757 au Change, avec Jeanne de Montozon de Laborde.

Gérome Cornu était laboureur aux Courtis en l'an III. Il était né à La Margoutie le 18 juin 1741, se maria avec Jeanne Savandrieu et décéda le 13 janvier 1819 aux Courtis.

Léonard Couder de La Lucie, était officier municipal lors de la vente du presbytère. Né le 7 décembre 1750 à Las Junias (Les Junies) de Jean Vouder et d'Antoinette Desplat, il se maria le 15 février 1768 avec Phelipe Savignac, fille de François Savignac et Françoise Lancinotte des Sabloux.

Léonard Couder mourut à son domicile, à La Lucie, le 5 janvier 1830.

Jean Couret, 5 pieds, cheveux et sourcils châtains, yeux gris, front découvert, nez moyen, barbe grise, bouche moyenne et menton rond, était secrétaire-greffier de la municipalité, chargé, en tant qu'attaché à l'autorité publique communale (donc sous les ordres de Pierre Prouillac), de rédiger les actes, de tenir la correspondance, d'afficher les décrets sur la porte de l'église et de les crier* en chaire juste avant le commencement de la messe. Il avait pour profession celle de taillandier (forgeron spécialisé dans les outils tranchants) et par conséquent il fabriquait les outils aratoires pour les paysans de la commune. Fils d'Antoine Couret et de Françoise Reynier, il était originaire de Vigounat (Saint-Pierre-de-Chignac) et se maria le 20 septembre 1791 avec Marie Tournier des Golferies, où il s'installa. Il mourut le 4 juin 1809 aux Golferies.

Jean Daudou, âgé de 41 ans en l'an III de la République, habitait avec sa femme, Anne Chariéras, aux Genets. Il mourut le 18 novembre 1848 à Blis.

Jean Desplat, de Pommier, était membre du Conseil de la commune ; né à Pommier le 29 novembre 1746 de Jean Desplat et de Toinette Dumaine, il décéda au bourg le 27 messidor an V.

On ne sait pas vraiment d'où venait le mendiant Guillaume Duradier (ou Duradieu). Si celui-ci fut présent au moment de la première vente des biens du curé de Born, comme le précisa Pierre Richard sans que Pierre Prouillac ne le contestât, il ne fut pas l'un des enchérisseurs comme le prouve l'adjudication des dits fonds.

Antoine Gautier du Defeix naquit le 28 juin 1741 aux Defeix, de François Gautier et de Marguerite Delesme. Il vécut le plus souvent en son domicile de Périgueux avec sa femme Anne Delage. Il était le père de Front Gautier du Defeix qui se porta plus tard acquéreur d'une partie du presbytère de Born.

Marc et Pierre Goursat de La Boudinie étaient père et fils. Marc était seigneur de La Boudinie à Eyliac et avait 60 ans lors des faits de l'an III à Blis-et-Born. Pierre était le gendre d'Antoine Gautier du Defeix et gèra les terres de son beau-père.

Pierre Lachaud, à 63 ans en 1795, était un notable du conseil de la commune. Depuis son mariage, le 23 octobre 1759 avec Françoise Loubiat - décédée depuis 4 ou 5 ans au moment du procès Prouillac - il habitait Born. Il était originaire de Beaumont au Change. Son frère cadet, laboureur au bourg du Change, était domestique du prieur de Born au moment de la vente, à Pierre Prouillac, d'une partie des biens de son maître.
Léonard Lachaud était laboureur au bourg du Change et avait 43 ans en l'an III. Il était domestique du prieur de Born au moment de la vente d'une partie du presbytère à Pierre Prouillac. Il était le frère de Pierre Lachaud.

Grégoire Lacoste était né à Lagelier (commune de La Douze). Agent national* de la commune de Blis-et-Born à 53 ans, il demeurait à La Jaye, où il y décéda le 23 prairial an XII (12 juin 1803).

Raymond Lasaigne avait 47 ans en l'an III et habitait le village des Chabanes. Il était marié avec Marguerite Amelin. Il décéda le 1er octobre 1806 aux Chabannes.

Guillaume Lavaux était journalier à La Lucie en l'an III de la République. Né le 3 octobre 1746 à La Lucie, de Jacques Lavaux et de Jeanne Goursole, il mourut le 22 vendémiaire an X (14 octobre 1800) à Bord*.

Jean Petit était cultivateur à La Forêt. En cette année III de la République ; âgé de 70 ans, il était veuf depuis plus de 10 ans.

Pierre et Sicaire Reynier étaient père et fils, tous les deux laboureurs à Blis. Sicaire était l'un des membres de la garde nationale*.

Qui était le citoyen Roche qui fut conduit au cabaret de Savignac où il fut gardé toute la journée ? Il doit s'agir de Jean Roche, fils de Bernard Roche et d'Anne Toussi, marié à Marie Grauland et qui demeurait à La Haute-Richardie.

Jean Savignac était également officier municipal. Il était maire de la commune en 1790, avant Pierre Prouillac. Hôtelier-cabaretier à Born, il tenait son commerce avec sa femme Marguerite Dubreuil. Son père, François Savignac, et sa mère, Françoise Lanssinotte, tenaient déjà l'auberge avant lui. Sa situation de marchand cabaretier lui donnait une position privilégiée pour glaner tous les commérages du terroir et ainsi les diffuser en les déformant parfois. Les notaires des environs faisaient de son estaminet l'annexe de leur étude pour recevoir leurs clients blis-et-bornais. Il arriva parfois que des juges ou enquêteurs passassent une ou plusieurs nuits dans la chambre du premier étage, cette chambre où se passèrent bien des choses peu ordinaires comme nous l'avons vu. Né le 16 avril 1744 à Born, Jean Savignac décéda au même endroit, le 9 décembre 1826, à l'âge de 82 ans.

Antoine Teyssiéras était officier municipal, et ainsi il fut parmi l'un des plus acharnés suppôts de monsieur le maire... Agé de 44 ans, il était né à Chignaguet d'Elie Teyssiéras et de Catherine Goulard. Sa femme était Marguerite Aublanc. Il demeura à La Gondie, où il mourut le 2 janvier 1826.
François Tocheport fut capitaine de la garde nationale* il en fut même le commandant, pendant un temps, avant Pierre Prouillac. Il fut aussi maire de la commune. Marié à Marie Lafont (appelée dans un acte de 1780 : Marie Bonnefont), il habitait Les Marguis, où il mourut à 67 ans le 1er mai 1810. Il eut quelques ennuis avec les autorités du district en l’an II (1794) : il fut accusé d’avoir délivré un certificat de résidence à un citoyen qui n’habitait plus la commune de Blis-et-Born depuis plus de quarante ans (8 L 37).

Jean Vidal était laboureur à Chignaguet. Né au Bas-Chignaguet le 8 janvier 1766, ses parents étaient Pierre Vidal et Jeanne Roche. Il se maria, avec Jeanne Prouillat de La Gondie, le 19 février 1787, et décéda au bourg de Born le 22 août 1849.

 

LEXIQUE

* AGENT NATIONAL (AGENT MUNICIPAL) : Officier nommé par les communes d'une population au-dessous de cinq mille habitants, pour exercer les fonctions municipales (maire).

* AMENDE HONORABLE : Fait de reconnaître une faute, un crime et d'en demander le pardon.

* ANCIEN REGIME : Régime de la monarchie avant 1789.

* ARMEE DES PRINCES : Armée créée à l’étranger par les nobles français émigrés, en vue de renverser la République.

* ARPENT : Ancienne mesure agraire de 50 ares.

* ASSIGNATS : L'Assemblée constituante décida, en avril 1790, d'émettre un véritable papier-monnaie ayant cours obligatoire, l'assignat, remboursable en biens nationaux* mais évalué en monnaie métallique. Un assignat correspondait donc à une valeur donnée d'or et d'argent, mais, au contraire des billets de banque de l'époque, n'était échangeable que contre un lot de terres estimées à ce prix. Il y avait donc un ajustement perpétuel à réaliser entre les valeurs réelles de la monnaie-papier, de la monnaie métallique qui continuait à circuler et des biens nationaux* à vendre. La spéculation se développa et l'Etat l'entretint par des émissions d'assignats qui financèrent l'effort de guerre. (Yahoo : Encyclopédie - les biens nationaux*).

* BIENS NATIONAUX : Biens confisqués à l'époque de la Révolution française sur le clergé, les émigrés et le domaine royal.

* BLE D’ESPAGNE : Maïs.

* BOISSEAUX : Ancienne mesure de capacité pour les matières sèches, de contenance variable suivant les villes (13 litres).

* BORD : Ancienne appellation de Born.

* BORDIER : Cultivateur qui exploite une petite propriété de quelques hectares (petite métairie).

* BOUGIE : Les ventes aux enchères se faisaient (comme elles se font encore quelques fois) en utilisant une bougie allumée. Les enchères se faisaient tant que la bougie était allumée. S'il n'y avait plus d'enchérisseurs, il fallait néanmoins attendre que la bougie s'éteigne pour décréter effectivement la vente faite. Tant qu'il y avait des enchérisseurs, on rallumait la bougie, ce qui explique qu'il y avait plusieurs feux.

* CAHIER DE DOLEANCES : Quand les représentants des trois ordres se sont présentés au Palais Royal en 1789, ils amenèrent avec eux leur liste de griefs, ou cahiers de doléances, qui devait être présentée à Louis XVI. Chaque paroisse avait établi son cahier de doléances.

* CHENEVIERE : Terrain semé de chènevis, où croît le chanvre.

* CHIRURGIEN : Simple médecin dans les campagnes.

* CLEDIER : Séchoir à châtaignes.

* COLON : Métayer.

* COMITE DE SALUT PUBLIC : Comité qui regroupa en 1792-1793 tout le pouvoir exécutif.

* CONVENTION : Assemblée exceptionnelle réunie pour établir la constitution française sous la Révolution.

* CRIER : Crier une annonce ; crier une vente, proclamer les enchères.

* DECADI : Dixième jour de la décade dans l’année républicaine. La décade est l’espace de dix jours, qui dans la division de l’année, sous la Révolution, comprend le tiers d’un mois.

* DISTRACTION : Action de séparer une partie d’un tout.

* EPIZOOTIE : Maladie contagieuse, comme la peste bovine autrefois, qui règne sur beaucoup d’animaux à la fois, et sur une grande région.

* Le FAURE : Maréchal-ferrant ; forgeron.

* GARDE NATIONALE : Il s'agit d'une armée fédérée, patriotique et volontaire qui apparut en 1789 dans un certain nombre de villes. La " grande peur* " de l'été 1789, suite à la chute de la Bastille, causa de telles paniques dans les campagnes, que des milices champêtres s'organisèrent. Des troupes rurales apparurent alors en Périgord et par le port d'arme, le paysan s'élèva au niveau d'une noblesse qui en avait l'exclusivité avec les soldats. Par la suite, après l'installation des nouvelles municipalités (14 décembre 1789), l'Assemblée leur donna le droit de requérir des troupes dites nationales pour le maintien de l'ordre, et la loi du 30 avril 1790 réintroduit une surveillance des campagnes par des gardes communaux. Les communes reçoivent alors la lourde charge de faire élire ses gardes, mais ceux-ci n'ont pas de très grands pouvoirs, en dehors de ceux que certains s'attribuent eux-mêmes comme à Blis-et-Born. Il faut préciser aussi que pour être électeurs, il fallait être " citoyen actif ", c'est-à-dire payer comme imposition la valeur d'au moins trois journées de travail. Dans un premier temps, la garde nationale est en quelque sorte une milice qui, dans chaque commune, est constituée de citoyens en âge (18 à 60 ans) de porter les armes, sans costume particulier et très inégalement armé de fusils de chasse. En 1790, l'Assemblée faisait adopter le même uniforme pour toutes les gardes nationales du royaume, cependant, dans nos villages la tenue de nos gardes nationaux resta des plus pittoresques. Par la suite, la loi du 8 juillet 1795 (messidor an III) précise que les gardes nationaux doivent avoir au moins 25 ans, savoir lire et écrire et avoir une bonne condition physique. Ils sont légalement soumis aux municipalités, cependant ils s'attribuent souvent des pouvoirs plus importants et comme les paysans ont la rancune tenace et une bonne mémoire, ils s'en prennent à tous ceux avec qui ils ont eu des démêlés, ils commettent des abus d'autorité à l'égard de leurs concitoyens qu'ils sont pourtant chargés de protéger. Ce sont le plus souvent des buveurs notoires, parfois des braconniers, voire même des voleurs...

* GARDE PILE : Bâtiment près de l'aire à battre dans lequel on entrepose le blé non vanné.

* GELINE : Poule.

* GIRONDINS : Surnom donné aux membres du parti qui se forma en 1791 autour de quelques députés de la Gironde.

* GRANDE PEUR : La connaissance des nouvelles parisiennes (prise de la Bastille) provoqua, en été 1789, des réflexes de panique dans les campagnes. On imagina que les errants qui parcouraient les routes étaient des brigands à la solde des aristocrates avides de se venger sur le peuple des campagnes

* ICELLE : Celle-ci.

* JACOBINS : Surnom donné aux membres d’une société politique révolutionnaire établie à Paris dans un ancien couvent de Jacobins (Dominicains). Les Jacobins étaient des Républicains ardents et intransigeants.

* LINAGE : En rapport avec " alignement ".

* LIVRE : Monnaie dont la valeur a varié suivant les temps et les lieux et qui a été remplacée par le Franc à la Révolution.

* MAIN MORTE : Ou mainmorte. Etat des moines qui sont privés de la faculté de disposer d'un bien.

* MAISON ROUGE : Maison bourgeoise qui se trouvait au niveau du transformateur de Blis , au Moyen-Age.

* MARGUILLIER : Membre du conseil de fabrique, chargé de participer à l’administration de la paroisse.

* MI-FRUIT : Partage égal des produits d’une terre entre le propriétaire et le métayer.

* MONITOIRE : Lettre d’un juge d’église qui avertissait les fidèles d’avoir, sous des peines ecclésiastiques, à révéler au juge séculier ce qui pouvait éclairer la justice sur certains faits criminels.

* MONTAGNARDS : Conventionnels appartenant et siégeant à la Montagne, conduits par Danton et Robespierre. Leurs bancs étaient les plus élevés à l’Assemblée conventionnelle, d’où " la Montagne ".

* PROCUREUR : Avocat.

* ROUE VIF : Le supplice de la roue était un mode d'exécution courant sous l'ancienne monarchie française. Le condamné, seulement vêtu d'une chemise, était solidement attaché, allongé sur le dos, sur une roue placée horizontalement en légère surélévation au-dessus de l'échafaud. Le principe de l'exécution consistait à casser les membres du condamné, à grands coups de barre de fer à section carrée, munie d'une poignée. Le bon ordonnancement de l'exécution prévoyait huit coups, de manière à casser deux fois chaque membre ; puis deux autres portés à la poitrine et à l'estomac. L'individu n'était pas mort pour autant et il devait agoniser sur la roue dans des souffrances atroces, jusqu'à ce que mort s'ensuive et au vu de tous. Le bourreau étranglait parfois le condamné, soit avant, soit pendant le supplice. Cette mansuétude restait toujours tenue au secret et inconnue tant du condamné que du public. Ce supplice traditionnel des assassins, des voleurs de grands chemins, se voulait dur, abominable, pour être encore plus exemplaire (Callandraud : De l'exécution capitale à travers les civilisations et les âges ; J.-C. Lattès, 1979).

* SUBROGATION : Substitution d'une personne à une autre pour l'exercice d'un droit ou d'un devoir.

* La TAILLE : Avant 1789, imposition directe qu’on levait sur les personnes qui n’étaient pas nobles ou ecclésiastiques.

* TERREUR : Ensemble des mesures d’exception prises par le gouvernement révolutionnaire (depuis la chute des Girondins en juin 1793, jusqu’à celle de Robespierre le 27 juillet 1794.


Quelques références bibliographiques utilisées

Dictionnaire de l'Académie française, 5th Edition, 1798.

Journal de la France et des Français : Chronologie politique, culturelle et religieuse de Clovis à 2000. Quarto, Gallimard, 2001.

Grenier de Cardenal : La garde nationale en Périgord pendant le Révolution. Revue du Périgord, février 1910, p. 55-79.

Arlette Higounet-Nadal : Histoire du Périgord. Privat, Pays et villes de France

Marcel Lachiver : Dictionnaire du Monde rural : Les mots du passé. Fayard, 1997.

Jean-Luc Montant. Site Internet sur l'histoire du Périgord. http://jeanlucmontant.free.fr/perigord6htm.

Guy Penaud : Dictionnaire biographique du Périgord. Fanlac, 1999.

Louis de la Roque et Edouard de Barthélemy : Catalogue des Gentilshommes du Périgord en 1789. Paris, Dentu, 1864.

Robert de Tessières : Histoire généalogique de la Maison de Texières. Paris, 2001.